Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, deuxième série, 1894.pdf/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je sortis de là affolé. Plus tard, je me demandai comment avec un couteau, presque l’équivalent de celui qui me servait à ouvrir mes noix et peler mes châtaignes, comment avec une lame de rien, un bœuf pouvait être tué, et si soudainement. Pas de blessure béante, pas de sang répandu, pas de beuglements de la bête. L’homme cherche du doigt, il pique et c’est fait : le bœuf croule sur ses jarrets.

Cette mort instantanée, ce foudroiement resta pour moi terrifiant mystère. Ce fut plus tard, bien plus tard, lorsque les hasards de mes lectures me mirent sous les yeux quelques bribes d’anatomie, que j’eus le secret de l’abattoir. L’homme avait tranché la moelle épinière à sa sortie du crâne, il avait sectionné ce que les physiologistes ont appelé le nœud vital. Aujourd’hui je pourrais dire qu’il avait opéré à la façon des hyménoptères, dont le stylet plonge dans les centres nerveux.

Assistons une seconde fois à ce spectacle dans des conditions plus émouvantes. Il s’agit des Saladeiros de l’Amérique du Sud, vastes établissements de tuerie et de manipulation de chairs, où l’on abat jusqu’à douze cents bœufs par jour. J’emprunte le récit d’un témoin oculaire[1].

« Le bétail arrive par grandes troupes et la matance se fait dès le lendemain de l’arrivée. Toute une troupe est renfermée dans un espace clos ou margueira. Des hommes à cheval font de temps en temps passer cinquante à soixante bœufs dans un espace plus étroit, mieux fermé et dont le sol incliné, en briques, en

  1. L. COUTY, Revue scientifique, 6 août 1881.