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LES ÉPEIRES

a ses travers au sujet du bien d’autrui, nous avons aussi les nôtres.

La raison du plus fort est toujours la meilleure, a dit notre fabuliste, au grand scandale des pacifiques. Les exigences du vers, la cadence, la rime, ont outrepassé ce qu’avait dans l’esprit le bonhomme ; il voulait dire que, dans une rixe entre dogues et autres conflits entre brutes, le plus fort reste maître de l’os. Au train dont vont les choses, il savait très bien que le succès n’est pas un certificat d’excellence. D’autres sont venus qui, malfaiteurs insignes de l’humanité, ont fait loi de la sauvage formule : la force prime le droit.

Nous sommes les larves à peau changeante, les vilaines chenilles d’une société qui lentement, très lentement, s’achemine vers le droit primant la force. Quand s’accomplira-t-elle, cette sublime métamorphose ? Pour nous affranchir de ces brutalités de fauves, faut-il attendre que les masses océaniques amoncelées dans l’hémisphère austral se déversent de notre côté, changent la face des continents et renouvellent l’époque glaciaire du Renne et du Mammouth ? Peut-être bien, tant est lent le progrès moral.

Nous avons bien la bicyclette, l’automobile, l’aérostat dirigeable et autres mirifiques moyens de nous casser les os ; mais tout cela ne fait pas monter la morale d’un cran. On dirait même qu’elle recule à mesure que nous asservissons davantage la matière. La plus avancée de nos inventions consiste à coucher les hommes sous la mitraille et les explosifs avec la célérité du moissonneur fauchant les épis.

Voulons-nous la voir dans toute sa beauté, cette raison du plus fort ? Vivons quelques semaines en compa-