Page:Fabre d’Églantine - Le Philinte de Molière, 1878.djvu/37

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Que la soif de mal faire allât jusqu’au délire.
Je ne sais plus quel mot pourrait être emprunté
Pour peindre cet excès d’insensibilité,
Cet esprit de vertige et ces lueurs ineptes
Qui réduisent ainsi l’égoïsme en préceptes.
Tout est bien ? insensés ! Et vous ne pouvez pas,
Sans toucher votre erreur, faire le moindre pas.
Tout est bien ? Oui sans doute, en embrassant le monde,
J’y vois cette sagesse éternelle et profonde
Qui voulut en régler l’immuable beauté ;
Mais l’homme n’a-t-il point sa franche liberté ?
Ne dépend-il donc pas d’un impudent faussaire
De ne pas friponner ainsi qu’il veut le faire ?
Ne tient-il pas à vous de prêter votre appui
À l’homme infortuné qu’on ruine aujourd’hui ?
Ne tient-il pas à moi, sur un refus tranquille,
De vous fuir à jamais comme un homme inutile ?
Or, on peut faire ou non le bien comme le mal :
Si nous avons ce droit favorable ou fatal
Dans ce que l’homme a fait au gré de son caprice,
Or donc, tout n’est pas bien ; ou vous niez le vice ?
Parmi les braves gens, loyaux, sensibles, bons,
Il faudrait donc aussi des méchants, des fripons ?
Dans l’optimisme affreux que votre esprit épouse,
De sa perfection la nature est jalouse,
Sans doute ; et c’est toujours le but de ses bienfaits.
Mais nous ne sommes pas comme elle nous a faits.
Moins nous avons changé, plus nous sommes honnêtes ;
Et je vous ai connu bien meilleur que vous n’êtes.
Laissez ce faux système à ces vils opulents
Qui jusque dans le crime, énervés, indolents,
Dans la mort de leur cœur sommeillent et reposent,
Loin des maux qu’ils ont faits et des plaintes qu’ils causent,
Eh quoi ! si tout est bien, à ce cri désastreux,
Que va-t-il donc rester à tant de malheureux,
Si vous leur ravissez jusques à l’espérance ?
Vous endurcissez l’homme à sa propre souffrance ;
Il allait s’attendrir, vous lui séchez le cœur :
Vous clouez le bienfait aux mains du bienfaiteur !