Page:Fabre d’Églantine - Le Philinte de Molière, 1878.djvu/44

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Mais une autre raison forte, et qui me convie
Plus que toute autre encore à de fermes refus,
C’est que de sa faveur il faut craindre l’abus.
Quand on a du crédit, c’est pour nous, pour les nôtres,
Qu’il faut le conserver, sans le passer à d’autres.
On n’en a jamais trop, pour que, de toute part,
On aille l’employer et l’user au hasard ;
Son affaiblissement n’arrive que trop vite.
Vous voulez le rebours de tout ce qu’on évite.
Comme si la coutume en effet n’était pas,
Au lieu de porter ceux qu’on jette sur vos bras,
Pour si peu de crédit qui vous tombe en partage,
D’être prompt au contraire à prendre de l’ombrage.
De toute créature et de tout protégé
Par qui l’on pourrait voir ce crédit partagé,
Soit pour les détourner, ou pour les mettre en fuite !
Voilà sûr quels motifs je règle ma conduite.
Je pense et vois le monde, et dis, de vous à moi,
Qu’il faut, pour vivre heureux, se replier sur soi.

ÉLIANTE.

Pouvez-vous… ?

PHILINTE, sèchement.

Pouvez-vous… ?Il suffit. Que notre ami s’emporte,
C’est en vain ; ma prudence est ici la plus forte :
De son prix, je le sais, il peut disconvenir :
J’agis au gré du monde, et je veux m’y tenir.

Il sort.

Scène II

ÉLIANTE.

Je ne le vois que trop ; c’est ainsi que l’on pense.
En est-on plus heureux ? Quelle triste prudence,
De vouloir s’isoler, de se lier les mains,
Et d’étouffer son cœur au milieu des humains !
Vous avez tort, Philinte, et je suis importune.
Mais ne pouvez-vous pas éprouver d’infortune ?
Et verriez-vous alors, d’un œil tranquille et doux,
Les hommes vous poursuivre, ou s’éloigner de vous ?