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POUR QU’ON LISE PLATON

mille sottises. La joie est une confiance infinie dans le destin à propos d’un incident éphémère et même instantané qui n’assure de rien pour le moment qui suit. Elle est donc très irrationnelle et une simple absurdité. C’est un élargissement de l’âme qui n’a rien en soi de répréhensible, mais qui fait qu’on croit embrasser tout l’horizon et, pour ainsi parler, tout l’univers.

C’est cet orgueil qui se mêle toujours à la joie qui en fait d’abord un grand ridicule et ensuite un grand danger. Et ce qu’il y a de plus périlleux encore, c’est ce passage répété et pour ainsi dire incessant de la joie à là douleur et de la douleur à la joie, c’est-à-dire d’un élargissement de l’âme à un rétrécissement de l’âme. Il n’y a nul doute que l’âme n’en soit assez vite fatiguée, surmenée et comme brisée, ce qui est un des plus grands maux qui nous puissent atteindre.

Les hommes disent que ces alternatives de joie et de tristesse ce n’est autre chose que la vie elle-même. Ils n’ont point tort ; mais il dépend de nous de ne pas dépendre de la vie, du moins de n’en pas dépendre complètement. Il ne dépend pas de nous de ne pas subir la vie ; mais il dépend de nous d’en atténuer les contre-coups sur nous-mêmes. Nous pouvons tellement l’accepter qu’elle nous brise ; nous pouvons la recevoir en réagissant contre