Page:Faguet - Pour qu’on lise Platon, Boivin.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
POUR QU’ON LISE PLATON

elle de telle sorte qu elle ne prenne de nous que les faubourgs et ne pénètre point dans la place forte.

Le moyen ? Il est assez simple. C’est de s’habituer à ne pas vivre dans le temps, puisque c’est précisément de cette façon que se manifeste la vie et qu’elle nous séduit, nous enivre et nous attriste. C’est une vérité de bon sens que si l’on savait dire, à chaque douleur qui nous frappe : « je n’y songerai plus dans un an » ; et à chaque joie qui nous envahit, la même chose, on ne souffrirait presque pas et l’on n’éprouverait presque aucun plaisir. Voilà le chemin : celui qui non seulement saura déplacer le temps, ou plutôt se déplacer ainsi dans le temps, mais encore vivre dans la contemplation des vérités éternelles, aura supprimé le temps, ou, si l’on veut, supprimé les moments ; or c’est par les moments que la douleur ou la joie ont prise sur nous. Les choses d’une heure ne sont plus rien pour celui qui n’a plus d’heure.

C’est à cet état qu’il faut, non pas arriver, mais tendre. Du reste il n’y a aucun risque qu’on y arrive ; mais il suffit qu’on s’en rapproche et il suffit même qu’on y tende, à la condition qu’on y tende sans cesse, puisque c’est seulement l’excès de la joie et de la tristesse qu’il s’agit de supprimer. L’homme est un être d’un jour qui participe de