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POUR QU’ON LISE PLATON

Si quelqu’un trouvait si libérale cette méthode d’éducation qu’elle risquât vraiment de n’être applicable qu à un tout petit nombre d’esprits, laissant les autres dans une ignorance déplorable, peut-être le très aristocrate Platon répondrait : Vous n’êtes point mal habile à démêler les pensées de derrière la tête et vous avez trouvé la mienne ou vous avez tiré de moi, par une excellente maïeutique, celle qui y était à l’état confus et obscur et dont je n’avais pas moi-même peut-être le sentiment parfaitement net. Que beaucoup d’esprits restent éternellement étrangers à la connaissance, cela ne laisse pas de m’être assez indifférent, pourvu que ceux-ci y parviennent qui avaient naturellement la vocation de la chercher. La vérité n’est due qu’à ceux qui la désirent. Le « force-les à entrer » n’est point du tout son fait, ni le mien. Savez-vous que beaucoup d’hommes n’auraient jamais aimé s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour ? Il est très vrai. Or ne vous semble-t-il pas que ceux qui aiment pour avoir entendu parler d’amour n’aiment point ? Et ne vous semble-t-il pas, par conséquent, que ceux qui aiment pour avoir entendu parler d’amour, il vaudrait mieux qu’ils n’eussent jamais entendu parler d’amour et qu’ils n’aimassent point, aimant comme ils aiment, c’est-à-dire n’aimant pas ?