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POUR QU’ON LISE PLATON

en tendant à un but et ils ne sont pas capables de dire quel est le leur. Le propre de l’homme est aussi de savoir ce qu’il fait et ils n’en savent rien du tout. Ils agissent conformément à leur nature, mais non en vertu d’une intention ou, si l’on veut, et ce qui revient au même, leur intention est bornée à leur acte et circonscrite dans leur acte. Ils font quelque chose, mais dans quel dessein ? Dans le seul dessein de le faire. C’est acte de végétal. La fleur fleurit pour fleurir, et c’est un autre qui sait pourquoi elle fleurit. L’homme, lui, agit pour agir et aussi en rapportant son acte à un but qui est par delà son acte. Les artistes seraient-ils des végétaux éclatants et non pas des hommes ?

Ce qu’il y a de remarquable et d’inquiétant, c’est que des arts qui sont très mêlés à la vie sociale, à la vie active, à la vie vraiment humaine sont exactement, ou croient être dans le même cas que l’art du sculpteur ou du peintre. Je demande à Gorgias et à ses amis : « Qu’est-ce que c’est que la rhétorique ? » Ils me répondent : « C’est l’art de persuader. » Sans doute, mais de persuader quoi ? — De persuader n’importe quoi ? — Comment donc ! Mais la rhétorique n’a donc pas de but en dehors d’elle ? Elle est la rhétorique pour… pour être la rhétorique ! Elle persuade pour persuader ! C’est dire qu’elle n’a pas de but et par conséquent