Page:Faguet - Pour qu’on lise Platon, Boivin.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
POUR QU’ON LISE PLATON

cette vue on a inventé les chants, qui sont de véritables enchantements destinés à produire l’harmonie, l’accord dont nous sommes en quête. Et, comme les enfants ne peuvent souffrir rien de sérieux, il a fallu déguiser ses enchantements sous le nom de jeux et de chants et les leur faire accepter ainsi. A l’exemple du médecin qui, pour rendre la santé aux malades et aux languissants, mêle à des aliments et à des breuvages flatteurs au goût les remèdes propres à les guérir et de l’amertume à ce qui pourrait leur être nuisible, afin qu ils s’accoutument pour leur bien à la nourriture salutaire et n’aient que de la répugnance pour l’autre ; de même le législateur habile engagera le poète et le contraindra même, s’il le faut, par langueur des lois, à exprimer dans des paroles belles et dignes de louange, ainsi que dans ses figures, ses accords et ses mesures, le caractère d’une âme tempérante, forte et vertueuse[1]. »

C’est à ces conditions que nous tolérerons et que nous honorerons le poète et l’artiste dans la répu-

  1. Sed veluti pueris absinthia tetra medentes
    Cum dare conantur, prias oras pocula circum
    Contingunt mellis ulci flavoque liquore,
    Ut puerorum œtas improvida ludificetur
    Labrorum tenus : interea perpotet amarum
    Absinthi laticem, deceptaque non capiatur.

    (Lucrèce.)