Page:Faguet - Pour qu’on lise Platon, Boivin.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
323
POUR QU’ON LISE PLATON

vie, et notre premier devoir, c’est de vivre ; le premier devoir d’êtres vivants, c’est de vivre. Il est difficile d’admettre une morale dont le premier précepte est l’imitation de la mort et dont l’ensemble des préceptes aboutit au suicide. Sous tous ces grands mots d’abstinence, de continence, de tempérance, de respect du droit, de justice, de sacrifice au bien commun, cherchez attentivement et même sans chercher beaucoup vous ne trouverez pas autre chose que ceci : le sacrifice de l’individu. Cela n’a pu être inventé que par des hommes si faibles qu’en vérité ils étaient tout près de cette demi-mort, de cette quasi mort qu’ils recommandaient comme la vertu même. L’idée de justice n’est que l’idée de faiblesse triomphant par artifice ou par un concours de circonstances. Ce n’est pas une idée vraie, puisque ce n’est pas une idée naturelle, puisque ce n’est pas une idée « dérivant de la nature des choses[1] », et c’est une idée trop chargée de faiblesse pour que dans la pratique il s’ensuive de grandes et belles choses.

Et enfin, de cette morale fausse et de cette morale débile, faire le fondement d’une politique, c’est concevoir déjà une politique fausse aussi, débile aussi, antinaturelle, énervant et paralysant

  1. Montesquieu.