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POUR QU’ON LISE PLATON

d’ivresse telle qu’elle abolit le mien et le tien pour être bien sûr que personne ne sera lésé. La justice, c’est la fraternité sans amour ; la fraternité, c’est la justice plus l’amour.

Ou plutôt — car jamais une idée n’est forte que quand elle est ramenée au sentiment qui l’inspire, et c’est précisément ce qu’il y a de beau dans tout Platon qu’il a parfaitement compris cela — ou plutôt la justice en son fond est amour, la justice en son fond est charité. L’esprit de justice, c’est de respecter le droit d’autrui. Mais pourquoi le respecter ? Parce que c’est raisonnable, parce que c’est d’ordre. Soit. Mais bien plutôt la justice consiste non pas à respecter mon droit dans autrui pour qu’il respecte le sien en moi, mais à aimer le droit dans autrui sans aucune considération égoïste et simplement parce qu’autrui est mon frère. Et alors la justice perd son nom, mais retrouve sa source, perd son nom, mais retrouve sa vraie nature. Elle est l’instinct de fraternité, et cet instinct peut aller jusqu’à ne pas vouloir faire aucune distinction entre le tien et le mien, parce qu’il ne voudra faire aucune distinction entre le moi et le toi, et ce sera la fraternité absolue.

L’abolition du moi et du toi c’est l’établissement — Platon a très bien trouvé le mot — du parfaitement un, qui est à la fois, parce que nous sommes