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POUR QU’ON LISE PLATON

nations, sans qu’on puisse trop savoir pourquoi, mais probablement parce que le génie n’est point si personnel qu’on le croit généralement, mais, force par lui-même, a besoin, cependant, pour s’épanouir, d’une atmosphère vivifiante et forte.

Platon a complètement échoué dans son projet de régénérer Athènes. Peut-être, à supposer que « l’Idée » de justice s’occupe de nous, était-il impossible, parce qu’il eût été scandaleux, que la nation survécût, qui avait fait boire la ciguë à Socrate et à Phocion.

Mais, comme par une compensation providentielle, si Platon a échoué dans son dessein immédiat, il a merveilleusement réussi dans le dessein à longue échéance qu’il n’a peut-être pas eu. Comme a dit Bossuet avec sa force ordinaire, « il n’y a point de puissance humaine qui ne serve malgré elle à d’autres desseins que les siens ». Platon, qui n’a pas sauvé Athènes, est au nombre des deux ou trois hommes qui ont donné à l’humanité une secousse morale profonde et prolongée, qui ont donné à l’humanité le goût de se surpasser. Il n’est aucun moraliste qui ne remonte à lui comme à sa source lointaine, élevée et pure. Il n’est aucun immoraliste qui ne le voie debout sur l’horizon, qui ne soit offusqué et gêné par sa grande ombre et qui ne sente en lui le grand obstacle, comme