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POUR QU’ON LISE PLATON

doivent être frères dans le sens littéral et plus que littéral du mot.

Platon a dit : il vaut mieux souffrir l’injustice que de la commettre ; le christianisme a dit : il faut aimer à souffrir l’injustice et il faut « aimer son ennemi », d’abord parce qu’encore il est votre frère, ensuite parce qu’il vous donne cette joie de souffrir l’injustice et par conséquent de témoigner pour la justice, ce qui est fécond en grands effets et ce qui bâtit le temple de la justice éternelle ; — et ainsi la sainteté et l’efficace du martyre, la théorie du martyre est déjà en germe et plus qu’en germe dans Platon.

Le christianisme a bâti toute une religion sur la morale, et c’est, avec quelque indécision, ce que Platon a voulu faire, à l’imitation de Socrate, peut-être en se tenant moins ferme sur ce fondement que Socrate lui-même et plutôt en se ramenant sans cesse à la morale qu’en s’y tenant obstinément attaché, mais encore en ne l’oubliant jamais et en faisant d’elle son principal et essentiel entretien ; et c’est pour cela qu’à tous les moments où l’humanité, instruite ou avertie par ses épreuves, revient à la morale comme à sa source de vie, en d’autres termes craint le suicide, elle revient à la fois pour ainsi dire et au Calvaire et à Sunium.