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APOLLONIUS,

TRADUIT PAR J.-J.-A. CAUSSIN.


VIE D’APOLLONIUS.

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Apollonius naquit à Alexandrie[1], sous le règne de Ptolémée Philadelphe, environ 276 ans avant l’ère vulgaire[2]. Son père, qui était de la tribu ptolémaïde, se nommait Illée ou Sillée, et sa mère Rhodé. Il étudia l’art des vers sous Callimaque, poëte célèbre chéri de Ptolémée Philadelphe, auquel il prodiguait souvent la flatterie, et dont nous avons encore des hymnes écrits avec autant d’esprit que d’élégance. Les leçons d’un tel maître firent bientôt éclore les talens du jeune Apollonius et prendre l’essor à son génie. Il n’avait pas encore atteint l’âge viril lorsqu’il fit paraître la première édition de son poëme sur l’Expédition des Argonautes. La publication de cet ouvrage fit naître entre lui et son maître une rivalité qui dégénéra bientôt chez Callimaque en une haine violente. D’abord il se contenta de critiquer d’ouvrage d’Apollonius et l’accusa de vouloir rabaisser les siens[3] ; mais bientôt ne pouvant plus contenir son ressentiment il composa contre lui une satire dans laquelle, le désignant sous le nom d’Ibis, oiseau fort commun en Égypte et qui se nourrit de serpens et de scorpions, il entasse sur lui les imprécations les plus ridicules. Cette pièce, dont on doit peu regretter la perte, était écrite d’un style très-obscur puisqu’un auteur la cite avec la Cassandre de Lycophron et d’autres ouvrages du même genre, qu’il regarde comme de vastes champs de bataille ouverts à tous les commentateurs qui veulent les expliquer[4]. On peut se faire une idée du mauvais goût dans lequel elle était écrite, par celle qu’Ovide a composée sous le même titre contre un de ses ennemis. Ovide avait trop de jugement et de délicatesse pour ne pas sentir les défauts de ce genre énigmatique ; il les expose fort bien au commencement de son Ibis, et s’excuse seulement sur l’exemple du poëte grec[5].

Nous ignorons si Callimaque borna son ressentiment à écrire, et s’il ne fit pas usage de la faveur dont il jouissait auprès de Philadelphe pour perdre Apollonius[6] : ce qui est constant, c’est que celui-ci fut obligé de quitter Alexandrie, peu après la publication de son poëme. Cet exil lui fut d’autant plus sensible, qu’il avait pour le lieu de sa naissance un

  1. Strabon, liv. XIV, p. 655. (Suidas.) Les auteurs des deux notices sur la vie d’Apollonius qui se trouvent à la tête des éditions de son poëme.
  2. C’est l’époque de la naissance d’Ératosthène, contemporain d’Apollonius, et comme lui, disciple de Callimaque. (Suidas)
  3. Voici le passage de Callimaque, dans lequel on croit communément qu’il a voulu désigner Apollonius : c’est la fin de hymne à Apollon.

    « L’Envie s’est approchée de l’oreille d’Apollon et lui a dit : Que vaut un poëte, si ses vers n’égalent pas le nombre des flots de la mer ? » Mais Apollon, d’un pied dédaigneux a repoussé l’Envie el lui a répondu : « Vois le fleuve d’Assyrie, son cours est immense, mais son lit est souillé de limon et de fange. » Non, toutes les eaux indifféremment ne plaisent pas à Cérès, et le faible ruisseau, qui, sortant d’une source sacrée, roule une onde argentée toujours pure, servira seul aux bains de la déesse.

    Gloire à Phébus, et que l’Envie reste au fond du Tartare. »

  4. Suidas au mot Callimaque, Clem. Alex. Strom., liv. V.
  5. Nunc quo Battiades inimicum devovet Ibin,
    Hoc ego devoveo Leque luosque modo :
    Utque ille, historiis involvam carmina cæcis :
    Non soleam quamvis hoc genus ipse sequi.
    Illius ambages imitatus in Ibide dicar ;
    Oblitus moris, judiciique mei.
    Et quoniam qui sis, nondum quærentibus edo ;
    Ibidis interea tu quoque nomen habe.
    Utque mei versus aliquantum noctis habebunt ;
    Sic vitæ series tota sit atra tuæ.

    Ovid. Carm. in Ibin., v. 53.

    « Je te dévoue aujourd’hui, toi et les tiens, par des imprécations semblables à celles par lesquelles le fils de Dattus (Callimaque) dévoua son ennemi Ibis ; comme lui j’envelopperai mes vers d’histoires obscures, quoique ce genre soit fort éloigné du mien ; et pour imiter ses ambages, j’oublierai un moment mon goût et ma manière. Reçois donc le nom d’ibis, puisque je ne veux pas encore te faire connaître autrement, et que toute ta vie soit ténébreuse comme mes vers. »

  6. Le passage de Callimaque que j’ai rapporté dans une note précédente, le ton triomphant qui y règne, me font croire que “Callimaque eut quelque part à l’exil d’Apollonius : « Apollon dit-il, a repoussé du pied l’Envie. » Qui ne voit que sous le nom d’apollon, ce poëte courtisan désigne Philadelphe, et qu’il y a ici une allusion à l’exil d’Apollonius ? Dans un autre endroit (Épig. 22), il se vante d’avoir chanté mieux que son rival.