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VIE D’APOLLONIUS.

son genre. À ces témoignages je dois en ajouter un bien précieux, c’est celui du prince des poëtes latins. On n’imite que ce qui plaît davantage. Virgile, en imitant Apollonius en tant d’endroits et de tant de manières différentes, a montré le cas qu’il en faisait, et un auteur anglais a raison d’appeler notre poëte l’auteur favori de Virgile. Macrobe et Servius[1] ont remarqué depuis longtemps que le quatrième livre de l’Énéide était presque tout entier tiré du poëme des Argonautes. J.-C. Scaliger[2], tout en traitant d’impudens ceux qui osent avancer cette assertion, ne laisse pas de convenir que Virgile a imité Apollonius dans beaucoup d’endroits qu’il rapporte, et quoiqu’il prononce hardiment que le poëte latin est partout bien supérieur, il lui échappe cependant quelquefois des éloges qui ne sont sûrement pas suspects. J’ai rapporté quelques-unes de ces imitations, et j’aurais pu en rapporter un bien plus grand nombre. Je me suis borné à celles qui pouvaient être plus facilement senties, même dans une traduction. Quant à celles qui consistent plus dans les choses que dans les mots et qui appartiennent à la structure du poëme, aux épisodes, aux caractères des personnages, je laisse en ce moment à ceux qui connaissent le poëte latin le plaisir de les remarquer eux-mêmes.

Une autre preuve de l’estime qu’avaient pour Apollonius les auteurs du siècle d’Auguste, c’est la traduction qu’en fit P. Terentius Varron, surnommé Atacinus, du nom d’une ville ou d’une rivière de la Gaule-Narbonnaise, aujourd’hui la rivière d’Aude[3]. Ce poëte célèbre, ami de Properce, d’Horace et d’Ovide, étant parvenu à l’âge de trente-cinq ans, s’appliqua avec ardeur à l’étude de la langue grecque et publia sa traduction d’Apollonius, celui de ses ouvrages le plus souvent cité par les anciens et qui paraît avoir le plus contribué à sa réputation[4]. Il nous en reste seulement quelques vers que j’ai rapportés[5]. On peut regarder encore, sinon comme une traduction, au moins comme une imitation suivie d’Apollonius le poëme de Valerius Flaccus, dont il ne nous reste que huit livres[6] :

Si quelques critiques français du dernier siècle n’ont pas jugé Apollonius aussi favorablement que les anciens, je crois pouvoir l’attribuer aux difficultés que renferme cet auteur et aux fautes dont son texte était rempli avant l’édition qu’en a donné Brunck. Ces fautes étaient en si grand nombre que, de l’aveu du célèbre David Ruhnkenius[7], qui en a fait disparaître beaucoup, plusieurs habiles critiques auraient bien de la peine à corriger celles qui restent encore.

C’est ici le lieu de parler des éditions d’Apollonius, qui sont au nombre de dix, en comptant les deux données à Oxfort par J. Shaw. Je ne m’étendrai pas sur les anciennes, toutes, comme je viens de le-remarquer, remplies de fautes et dont on peut voir ailleurs le catalogue. Henri Estienne est le premier qui ait bien mérité de notre auteur par d’heureuses corrections[8] et des notes courtes, mais bien faites. On n’en peut pas dire autant de celles de Jérémie Hœlzlin qui, plus de quatre-vingts ans après a donné d’Apollonius une traduction inintelligible et que David Ruhnkenius qualifie avec raison de : Tetricus iste et ineptus Apolloni commentator. Pour se faire une idée du fatras que renferment ses notes, il suffit de lire la première, dans laquelle il cite successivement les actes des Apôtres, la comédie des Grenouilles d’Aristophane, le Ier livre des Rois, l’Énéide de Virgile, Oppien et plusieurs mots hébreux.

Le savant Tib. Hemsterhuys paraît être le premier qui se soit appliqué dans ce siècle à bien entendre notre auteur et qui en ait remarqué tous les endroits corrompus. D. Ruhnkenius, son disciple, profita des leçons de son maïtre[9]. Doué d’une critique fine et délicate, il a corrigé plusieurs passages et en a éclairé un plus grand nombre. Mais personne n’a rendu à Apollonius un service plus signalé que Brunck. Cet illustre savant, auquel la république des lettres est redevable de plusieurs éditions qui joignent au mérite de l’exécution, celui de présenter de nouvelles leçons tirées des manuscrits, une ponctuation exacte et des corrections heureuses, a donné d’Apollonius une édition bien préférable à celles que nous avions déjà, qui toutes étaient calquées les unes sur les autres et n’offraient rien de neuf. Brunck a collationné lui-même cinq manuscrits de la bibliothèque nationale et s’est encore procuré trois autres collations. À l’aide de ces secours et de ceux que lui fournissaient une mémoire heureuse, une sagacité rare, une oreille délicate et accoutumée au rhythme poétique, il a corrigé une multitude de passages évidemment corrom-

  1. Macr. Saturn., lib. V, ch. 17. Servius, ad Æn. lib. IV v. 1. Vos. de Imit., cap. I.
  2. Jules-Cæsar Scaliger, Poet., lib. V, cap. 6.
  3. À peu près dans le même temps, Cornelius Gallus, à qui Virgile a adressé sa dixième églogue, traduisit en latin un autre poëte grec contemporain d’Apollonius, Euphorion de Chalcis, bibliothécaire d’Antiochus-le-Grand.
  4. Quintilien, X, cap. 1, Vos. de Poet. lat. Id. de Historiâ latiâ.

    Varronem, primamque ratem quæ nesciat ætas,
    Aureaque Æsonio terga pelita duci ?

    Ovid. Amor. I, 15,–21.
  5. Virgile a emprunté des vers entiers de cet auteur. (Servius, ad Georg. I, 377, id., ad Georg. II, 404.)
  6. Pel. Crinitus, de poet. lat., lib. IV cap. 66. Marianus, qui florissait sous l’empire d’Anastase Ier, au commencement du sixième siècle, avait fait une métaphrase en vers ïambiques du poëme d’Apollonius. Suidas, Vos. de Poet. græc.
  7. Epist. crit. II, p. 172 editio secunda.
  8. H. Estienne ne cite qu’une seule fois l’auteur d’un manuscrit. C’est sur le vers 491 du livre Ier, et la correction qu’il fait en ce endroit, se trouvait déjà dans l’édition de Paris de 1541. J’ai vu un exemplaire de cette dernière édition, qui a appartenu au célèbre Passerat, successeur de Ramus, dans la place de professeur d’éloquence au collége de France. Passerat y a souligné tous les endroits qui ont été imités par Virgile. Ovide, Properce, etc., mais sans citer les vers de ces poëtes.
  9. David Ruhnkenius, Epist. crit. II, p. 189 et 190.