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les marchandises étrangères, l’exploitation la plus absolue des prolétaires du pays « protégé », par leurs propres capitalistes. En effet, elles suppriment ainsi la concurrence pour la vente des produits que le consommateur devra payer le prix que voudront bien les capitalistes.

Les frontières jouent un grand rôle dans l’exaltation du « patriotisme », autre moyen despotique d’empêcher l’examen (V. au mot Patrie). — A. Lapeyre.


FRUGIVORE adj. (du latin fruges, fruit, et vorare, manger), qui mange des fruits, qui se nourrit de fruits ; par extension : qui consomme uniquement des fruits à l’exclusion de tout autre aliment. Frugivorisme : théorie ou système basé sur la croyance que l’alimentation exclusivement fruitarienne convient à l’humanité.

La découverte des vitamines (ou plutôt la découverte du rôle important joué par les vitamines dans la nutrition de l’organisme humain) est venue rappeler à beaucoup de personnes, qui l’avaient oublié, le bienfait de l’alimentation fruitarienne.

Il semble bien, cependant, que cette alimentation ait été particulièrement goûtée de nos ancêtres, si nous en croyons les traditions et les légendes de l’antiquité. Chacun sait que la pomme joua un grand rôle dans la vie de nos premiers parents, si l’on s’en rapporte à ce burlesque récit qui s’appelle la Genèse. Tous les Anciens semblent avoir tenu les fruits en haute estime. Les jardins des Hespérides étaient aussi renommés, avec leurs pommes d’or jalousement gardées par un dragon féroce, que le comique Paradis d’Adam et Eve. La pomme et le raisin ont inspiré bien des poètes (ainsi que le vin et les fumées de l’alcool, hélas…).

Les enfants qui vivent sous nos yeux n’ont-ils pas conservé un goût très vif pour les fruits de toutes sortes, alors qu’ils éprouvent souvent de la répugnance pour les viandes ? Il y a là une indication précieuse, car c’est l’instinct naturel (trop souvent faussé de nos jours) qui nous la fournit.

Pour nous, libertaires, a priori, nos sympathies vont au frugivorisme. Il évoque la vie au grand air, en liberté, au soleil. Il nous fait rêver d’harmonie fraternelle et de cadres verdoyants. Sa réalisation s’accompagne de joie, de paix, d’amour, tandis que le carnivorisme rend nécessaire de répugnantes tueries, des « abattoirs » nauséabonds et entretient au cœur de l’homme l’instinct de la destruction sanguinaire.

Il s’agit de savoir si nous sommes constitués pour nous alimenter uniquement de fruits. À côté du sentiment humanitaire qui doit nous inspirer, interrogeons aussi la science médicale et l’hygiène alimentaire.

Je ne rappellerai que pour mémoire les célèbres querelles qui ont divisé les physiologistes, surtout en ce qui concerne l’interprétation de notre dentition.

Les omnivores prétendent que l’homme est constitué pour manger de tout, sous prétexte que nous avons des dents incisives (comme les rongeurs), des dents canines (comme les carnassiers), des dents molaires (comme les frugivores). L’homme serait donc, à la fois, rongeur, carnivore et frugivore. Les végétariens et les frugivores objectent à cette argumentation que les canines humaines sont courtes, comme celles des singes anthropoïdes et n’ont pas la longueur de celles des véritables carnassiers (les grands singes sont, on le sait, frugivores). Aux yeux des frugivores, les canines humaines seraient simplement un instrument de défense dans la lutte pour la vie, — il en serait de même pour les canines des grands singes, qui constituent la variété animale la plus rapprochée de l’espèce humaine.

Cette explication paraît vraisemblable, surtout lorsqu’on la rapproche de l’étude de notre intestin, dont la longueur (trop grande) rend si pernicieuse pour nous l’ingestion de la chair animale.

Une autre controverse a fait couler beaucoup d’encre : celle de la valeur des aliments en albumine et en azote. On croit de moins en moins, pourtant, à la nécessité d’absorber de grandes quantités d’aliments très « nourrissants », car on s’est aperçu que l’homme n’avait besoin, pour vivre, que de très faibles rations. Certains jeûneurs ont pu résister pendant plusieurs semaines, sans absorber aucun aliment. On peut vivre et se bien porter en mangeant très peu. Les gros mangeurs deviennent invariablement malades et ils meurent jeunes. Les personnes qui arrivent à un âge avancé, les centenaires, sont presque toujours très sobres et s’abstiennent de viande, de tabac et d’alcool.

On groupe ordinairement les fruits en trois catégories : 1° les fruits à pulpe, qui contiennent une grosse quantité d’eau et de faibles quantités de sucre. Ce sont les cerises, les raisins, les poires, les pommes, etc., etc… Cette variété est extrêmement riche et fournit à nos palais, pendant toute la belle saison, une gamme inépuisable de saveurs agréables et de parfums délicats. Ces fruits, riches en eau, sont très diurétiques et très laxatifs. Ils sont donc recommandables pour tout le monde et à plus forte raison pour les malades, les fiévreux, les convalescents, auxquels ils seront particulièrement bienfaisants en raison de leur digestibilité ; 2° les fruits farineux, dont le type est la châtaigne. La valeur nutritive de la châtaigne (et du marron) est bien connue. Tous les intestins ne la tolèrent pas d’une façon parfaite ; en ce cas, il est tout indiqué de la consommer sous forme de purées ou de farines. Des populations entières (celles du Limousin, de l’Auvergne, de la Corse, par exemple) ont longtemps trouvé dans la châtaigne leur principale alimentation. Malheureusement notre capitalisme imbécile et inconscient détruit chaque jour les superbes châtaigneraies, car… on extrait du bois de châtaignier un produit utilisé dans l’industrie de la chaussure. Nous regrettons ces hécatombes, car les châtaigniers assuraient au paysan — sans travail à fournir — une farine de premier choix, plus nutritive que les meilleures viandes ; 3° les fruits oléagineux, ainsi nommés parce qu’ils sont riches en corps gras. Ce sont les plus nourrissants de tous les fruits : noix, noisettes, amandes, olives. Il est prudent de les mastiquer suffisamment, afin de faciliter le travail stomacal. (Inutile d’ajouter que tous les fruits doivent être soigneusement lavés, et si possible essuyés, afin de les purifier des innombrables poussières et impuretés dont ils sont recouverts, surtout… lorsqu’ils ont passé entre les mains de nos ineffables commerçants).

De ce qui précède, on pourrait conclure qu’il est possible de se nourrir uniquement avec des fruits, en ayant soin d’associer les fruits farineux et oléagineux, qui sont nutritifs, aux fruits aqueux, qui ne le sont presque pas.

En théorie, la chose est certainement possible. Mais j’aperçois deux écueils dans la pratique :

1° D’abord, une telle alimentation serait insuffisamment variée. On ne peut pas se nourrir d’un bout de l’année à l’autre avec des noix et des marrons, La satiété viendrait vite. Nous sommes plus gourmands que les animaux, qui mangent la même herbe pendant leur vie entière (ou qui, du moins, varient très peu leurs sensations gustatives). On peut le regretter, mais il est possible que cette recherche du plaisir dans la variété des mets soit un stimulant digestif et un facteur de santé — lorsqu’il reste, bien entendu, dans les limites rationnellement fixées par la physiologie ;

2° Ensuite… il faut bien avouer que les fruits sont très chers, horriblement chers. Pour se sustenter avec des bananes, des pommes, des oranges, du raisin, il faudrait être riche, très riche, surtout en hiver.

Je crois donc, personnellement, que la sagesse nous