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plus loin. La pratique scientifique de la médecine ne fait que commencer.

Elle a déjà eu des résultats éclatants dans l’art chirurgical. Les progrès de la chimie avaient donné le pouvoir d’annihiler la douleur en endormant le patient. La connaissance de la cause des suppurations a permis de faire, en toute sécurité, grâce à l’antisepsie et à l’asepsie, les opérations les plus risquées : comme d’ouvrir un ventre, ce qui se fait aujourd’hui couramment. En cinquante ans la pratique chirurgicale a étendu son domaine triomphalement. Il semble même qu’elle a atteint son point culminant et que les progrès dans l’art de soigner et de guérir les tumeurs, les cancers, les processus inflammatoires (par exemple dans le cas de l’appendicite) rétréciront peu à peu son champ d’action.

De toute façon, avant d’agir, le médecin est obligé d’établir un diagnostic, c’est-à-dire d’interroger et d’examiner le malade, souvent même de recourir à l’aide du laboratoire ou au concours d’un spécialiste, pour déterminer la cause des symptômes morbides dont se plaint le patient. Celui-ci ne voit que le malaise qui le gêne, il ne se rend pas compte que ce malaise n’est qu’une des apparences d’un état pathologique plus profond. Il ira parfois chercher directement chez le pharmacien un cachet contre un mal de tête ou une potion contre la toux, ou quelque chose pour couper la fièvre. Il se laissera aussi bien guider par les réclames de la 4e page des journaux. Il s’adressera à un charlatan, à un vendeur d’orviétan ou de tout autre remède secret et miraculeux.

Or, le mal de tête, par exemple, peut être une névralgie causée par une mauvaise dent ou par une sinusite, par une tumeur, ou bien une migraine, ou bien une céphalée entraînée par une mauvaise accommodation visuelle, ou bien le symptôme d’un embarras gastrique, ou bien le prélude d’une maladie infectieuse en incubation, ou bien l’accompagnement d’une syphilis à la période secondaire, ou bien encore des troubles liés à une urémie latente, etc. La conduite a tenir n’est pas la même dans tous les cas, et l’administration inconsidérée d’un remède peut même aggraver l’état de l’urémique.

Pour agir avec quelque efficacité, il faut donc découvrir la cause des symptômes apparents. Les anciens médecins s’en rendaient bien compte, mais ils n’avaient que très rarement le moyen de remonter à cette cause. Ils se contentaient de faire le diagnostic d’une péritonite, ils savaient qu’elle apparaissait souvent comme symptôme terminal de la fièvre des femmes en couches, sans d’ailleurs concevoir le rôle de l’infection, mais ils ignoraient que souvent aussi elle est le symptôme terminal d’une appendicite méconnue, car ils ignoraient l’appendicite et ils parlaient alors d’une péritonite a frigore (causée par un refroidissement). Ils englobaient sous le nom de fièvre putride toutes sortes de maladies infectieuses, sous le nom d’affections pulmoniques chroniques, ou de bronchites chroniques, des états divers où la tuberculose tenait sans doute la plus grande part. L’étiquette d’anémie recouvrait des états pathologiques les plus différents. Les médecins regardaient le chancre mou, la blennorragie et la syphilis comme les manifestations d’une même maladie vénérienne. Ils ignoraient l’hérédo-syphilis. Encore de nos jours confondons-nous sous le nom de rhumatisme des affections différentes, et notre classification actuelle des maladies cutanées et celle des maladies mentales sont-elles quelque peu obscures.

Mais on progresse. Lorsque Bichat eut commencé à créer l’anatomie pathologique, lorsque de nouveaux procédés d’exploration, comme la percussion et l’auscultation, eurent permis de localiser nombre de lé-

sions des organes, lésions qu’on pouvait étudier à l’autopsie, on put préciser de nombreux diagnostics, par exemple celui d’une pleurésie. Celle-ci paraissait avoir définitivement conquis son existence et son autonomie. Ce fut presque un scandale quand, il y a 30 ans, Landouzy émit l’hypothèse que la grande majorité des pleurésies relevait d’une tuberculose de la plèvre. La lésion de l’organe n’est pas tout. On cherche maintenant à établir son diagnostic étiologique, c’est-à-dire le diagnostic de la cause qui a amené la lésion.

Le diagnostic une fois établi, on sait ce qu’il faut taire et surtout ce qu’il ne faut pas faire. Mais il faut connaître aussi l’état des différents organes, évaluer la possibilité de leur tolérance ou de leur défaillance vis-à-vis de tel ou tel médicament, il faut prévoir, autant que faire se peut, les réactions humorales etc. Le médecin agit en s’aidant des connaissances accumulées par les travaux médicaux du monde entier et en se guidant sur son expérience personnelle. Tous les jours la science médicale fait de nouveaux progrès. Elle est Internationale. Des congrès de médecine générale ou spécialisée rassemblent chaque année des travailleurs du monde entier. Les périodiques professionnels tiennent d’ailleurs les praticiens au courant des recherches en cours, des hypothèses et des découvertes faites par les médecins dans tous les pays civilisés. Il n’y a plus de remède secret. Une découverte amorcée dans un laboratoire est souvent parachevée dans un autre. Il se passe en médecine ce qui se passe dans les autres sciences. Leur progrès s’appuie sur la solidarité et sur la rivalité intellectuelle (ce qui est la même chose) d’une multitude de travailleurs, en dépit des erreurs et des bluffs, d’ailleurs vite reconnus.

Depuis. soixante ans environ, ce progrès marche à pas de géant. Il y a cent ans, la veuve d’un médecin en vendant la bibliothèque de son mari, pouvait en tirer un prix rémunérateur. Aujourd’hui, au bout de cinq ans, les ouvrages de pathologie sont périmés. Le médecin est obligé de rester un perpétuel étudiant. Le progrès des autres sciences (physique, chimie) apporte de nouveaux procédés d’exploration (radiologie) ou de traitement. L’art médical devient de plus en plus complexe et compliqué, ce qui entraîne la naissance de nombreuses spécialités.

La médecine traditionnelle a vécu. Le médecin d’aujourd’hui ne peut plus agir seul. Il a besoin du laboratoire pour l’examen à l’ultra-microscope, pour des analyses de crachats en série, pour de multiples analyses du sang ou du liquide céphalo-rachidien etc. etc. Il a besoin d’examens radiographiques ou radioscopiques. Il a besoin de faire pratiquer la cystoscopie par un spécialiste des voies urinaires, l’examen du fond de l’œil par un ophtalmologiste, du larynx par un laryngologiste, etc., etc.

En dehors des traitements afférents à sa spécialité, le spécialiste, dans l’examen général d’un malade ne peut être qu’un analyste, fournissant un renseignement particulier au praticien. En somme c’est ce dernier, qui, grâce à un travail d’induction, peut faire la synthèse des éléments recueillis, établir le diagnostic et orienter le traitement. Son influence morale a aussi une grande importance. Mais la collaboration est nécessaire et constante entre le praticien et ses confrères spécialisés.

Les nouveaux procédés d’investigation permettent un diagnostic non seulement plus précis, mais aussi plus précoce. Or, il est extrêmement important de pouvoir reconnaître une affection à son début ; l’efficacité de la thérapeutique est à ce prix. Confirmer le diagnostic d’un chancre dès son apparition, déceler la tuberculose pulmonaire de bonne heure permet d’instituer un traitement qui pourra, dans la plupart des