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eu raison. Pourtant, ne lui a-t-on pas demandé plus qu’elle ne pouvait donner ? La science apporte son explication des choses et s’arrête où commence la métaphysique.

On s’est trop empressé (Brunetière en tête) de proclamer la faillite de la science, au nom d’un pseudo-idéalisme. La véritable science est idéaliste et réaliste à la fois. C’est dans un esprit réactionnaire que s’est engagée la campagne contre la science, que les exagérations même de la science paraissaient justifier. La vraie science ne peut tuer le rêve : le rêve lui est nécessaire ; il l’entraîne avec lui sur les sommets. On a aussi reproché à la science – et ce reproche est le plus justifié – de s’être mise au service des forts, des maîtres de l’heure, des grands bandits légaux qui président aux destinées de l’Humanité. La science s’est faite la servante des hommes de guerre et de haine. Au nom de la science, comme au nom de la patrie, on assassine, on tue. Cette religion de la science est néfaste comme toutes les religions : elle a ses fanatiques. Elle a aussi ses martyrs. Les savants ont mis la science au service de la mort, rarement au service de la vie. Ils en ont fait une puissance de destruction, qui n’a pas dit son dernier mot. Cette science « assassin de l’oraison, et du chant, et de l’art, et de toute la lyre », comme disait Verlaine, est la honte de la civilisation. La science au service du crime doit être châtiée et découronnée de tout prestige. À bas la science au service du prétendu droit et de la prétendue civilisation ! Quand on voit les résultats auxquels a abouti la science, il n’y a pas de quoi être fier. La science doit cesser d’être humanitaire pour devenir humaine. La science a favorisé le progrès matériel au détriment du progrès moral. Les progrès matériels eux-mêmes tant vantés sont bien aléatoires. Ils multiplient les chances de mort parmi les hommes, en multipliant les moyens de locomotion, les explosifs, les prisons, etc. La science, dans ses applications multiples, soi-disant pratiques, ne tend qu’à substituer l’artifice à la nature, le mécanisme au sentiment. Une humanité des savants, ou plutôt de pseudo-savants, serait inhabitable. Quant à guérir la souffrance, les maladies, la science s’en préoccupe bien, mais si peu ! La médecine qui, parait-il, a fait d’énormes progrès, n’a guéri ni le cancer, ni la tuberculose, ni la syphilis. Elle n’est même pas capable de soulager les maux de dents. La chirurgie est fière de ses tours de force. Mais les frères coupe-toujours sont le plus souvent des brutes, dont il faut se méfier. Malheur aux patient qui tombe entre leurs mains ! C’est de la chair à chirurgie pour la table d’opération. Les grandes découvertes que font la T.S.F., l’Aviation, etc. ne valent pas un poème écrit avec son cœur par un poète qui a souffert. Il sera beaucoup pardonné à la science pour quelques découvertes utiles, profitables à tous, cependant il faut nous opposer de toutes nos forces à cet esprit scientiste, qui ne voit que la science et ne jure que par elle. Le Homaisisme est une plaie. S’il n’y avait hélas ! que la science pour faire notre bonheur nous serions bien malheureux. Il faut combattre cette confiance aveugle dans la science, qu’engendre des pédants, de froids calculateurs. La science, soit, mais complétée, dépassée, augmentée, renouvelée et humanisée par l’art. Cessons d’opposer l’art et la science. N’opposons à l’art que la science de mort. Le cœur et l’esprit sont faits pour s’entendre ; de leur union naît l’harmonie. Opposer la science et l’art, c’est absurde. Il y a de la science dans l’art, et de l’art dans la science. Il faut être un demi savant ou un demi poète pour opposer la science véritable et la véritable poésie.


À la métaphysique appartient encore le problème de la liberté et du déterminisme, auquel se rattache celui

de la responsabilité, bien mal résolu par les criminologistes et autres psychiatres. Sommes-nous libres ? Sommes-nous responsables de nos actes ? Ne sommes-nous pas plutôt le jouet d’influences de toute nature ; hérédité, milieu, éducation, forces physicochimiques ? Problème redoutable que les religions et les morales ont résolu à leur profit. On ne peut le résoudre à la légère. Il semble bien que le déterminisme explique la plupart des actions humaines. Et cependant, l’individu possède le pouvoir de réagir. Il peut se libérer. Selon qu’on envisage le problème, tout l’édifice social est consolidé ou jeté à terre. La société a-t-elle le droit de punir ? Ne doit-elle pas soigner les criminels, comme elle soigne les malades ? Problème accroché aux précédents, et qui dépend de leur solution.

Que de problèmes ne propose-t-elle pas à nos méditations ! Le monde est-il l’œuvre du hasard ? Les choses marchent-elles vers un but défini, ou bien s’écoulent-elles pèle-mêle, en désordre, sans aucun plan conçu d’avance ? Que sommes-nous venus faire sur ce globe où le hasard nous a fait naître ? Y a-t-Il par delà cette planète passagère d’autres mondes habités ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Que sommes-nous ? Existe-t-il une vie future et sous quelle forme pouvons-nous la concevoir ? La mort est-elle le terme de l’existence humaine ? Qu’y a-t-il après la mort ? Questions qui ont fait le désespoir des poètes et des philosophes. Questions peut-être insolubles ? Quand le penseur y songe, son front s’emplit de brume. Cependant, il finit par contempler sans trouble la vérité en face. Pour lui, rien ne commence et rien ne s’achève, tout meurt, tout se transforme. La création n’est qu’un flux et un reflux d’éléments contraires. La métaphysique s’adresse à la science, lui demandant de l’aider à sonder l’abîme. Par elle, elle acquiert quelques certitudes. Ensuite, elle interroge l’éthique. Elle lui pose cette question : « À quoi bon agir, à quoi bon s’agiter puisque tout est chimère ? Pourquoi vivre ? Pourquoi ne pas se suicider tout de suite, puisque tout passe, disparaît, se dilue… ? » L’éthique la conduit vers l’esthétique, qui lui apporte sa consolation, la politique et la morale ne pouvant constituer pour l’homme que des refuges illusoires. L’esthétique donne un sens à la vie. S’adressant à la métaphysique, à ses doutes, à ses atermoiements, elle lui confie sa foi : « Vivre, certes, malgré la souffrance qui est dans la vie, mais vivre en beauté. Lutter contre toutes les laideurs, même si cela est parfaitement inutile. S’affirmer un homme libre, au sein des brutes déchaînées… » Tout est là. Il n’y a pas d’autre existence pour l’homme. La, métaphysique reprend courage, et elle envisage désormais avec plus de sérénité tous les problèmes que pose la vie.

Le problème de la valeur de la vie, comme celui de la valeur de la science, est du ressort de la métaphysique. Celle-ci le résout, tantôt par l’optimisme, tantôt par le pessimisme. Optimisme et pessimisme ne signifient rien, au fond. La vie n’est ni bonne, ni mauvaise. Ce n’est pas un cadeau bien fameux que nous ont fait là nos parents, nous nous en serions bien passés. Mais puisque ce cadeau nous a été fait, sans que nous ayons été consultés, donnons-lui un sens. La vie vaut-elle la peine d’être vécu ? Pas toujours. Le problème de la valeur de la vie est angoissant. Les jouisseurs déclarent : « La vie est belle. » Les malheureux répondent : « La vie est triste. » Où trouver un refuge contre les maux d’origine naturelle ou sociale – ces derniers sont les plus nombreux – qui nous accablent pendant le peu de temps que nous vivons ? Est-ce la religion qui nous apportera un réconfort ? Ne comptons pas sur elle. Plus que la science, la religion a fait faillite. Elle n’a empêché ni la guerre, ni tout autre fléau. Elle n’est pas restée fidèle à l’esprit de son fondateur (c’est