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de la religion chrétienne qu’il s’agit ici). Tantôt elle résiste au mouvement des idées, tantôt elle s’adapte bien maladroitement aux idées. La religion est une affaire. Les prêtres tiennent commerce d’au-delà. Ils sont vendus au veau d’or ; ils s’agenouillent devant les puissances d’argent ; ils ne courtisent que les riches et, pour donner le change, ils font semblant de s’intéresser aux pauvres.

Trouverons-nous un refuge dans sa rivale, la théosophie ? Les théosophes nous prodiguent d’excellents conseils. Mais les belles paroles ne suffisent pas à panser les plaies. Il y a beaucoup à prendre dans la théosophie qui poursuit le bonheur de l’humanité par sa régénération. Enfin, l’esthétique apporte aux hommes un refuge contre toutes les formes de laideur. Elle apaise le tourment de l’individu qui cherche le sens de la vie, qu’il n’a découvert, ni dans la religion, ni dans la morale, ni dans la politique. Elle calme ses angoisses et l’aide à supporter les maux inévitables qui frappent tout être humain. Refuge, hélas ! momentané. Il faut nous résoudre à n’avoir que peu de joie, en échange de beaucoup de souffrance morale et physique. Plus la pensée s’élève, plus l’être est malheureux. Telle est la vie, et il faut se résoudre à souffrir. Il importe, en attendant la mort, de créer autour de nous le plus de joie possible, afin de n’avoir pas vécu inutilement. Celui qui porte un idéal vivant dans l’âme peut vivre sans n’avoir aucun reproche à s’adresser, cet idéal fait à la fois son bonheur et son malheur. Si la beauté, — qui est aussi la vérité et la justice —, l’encourage à vivre, la laideur le touche plus profondément que les hommes dont l’inconscience la perpétue. Cependant semblable existence est bien préférable à l’existence amorphe du troupeau qui n’a jamais réfléchi à quoi que ce soit. — Gérard de Lacaze-Duthiers.

MÉTAPHYSIQUE (selon le socialisme rationnel — Le livre que vient de publier M. Jules de Gaultier sur la sensibilité métaphysique, entrevue ou comprise sous le prisme déterministe du matérialisme historique nous a incité à faire connaître ce que le Socialisme Rationnel entend sous le même vocable.

Si, pour M. J. de Gaultier et la plupart des philosophes passés et présents, la métaphysique apparaît comme suprême efflorescence de la matière qui, à travers les espèces et les âges, trouve son épanouissement dans l’Humanité en s’appuyant sur les théories de Hégel relatives à la ruse des idées amenant à concevoir la possibilité de la mutation de quantité en qualité, Colins et son école philosophique et socialiste, se refusent à admettre, comme scientifiquement démontré le processus métaphysique qui va de l’atome au minerai, du minerai à la plante, de celle-ci au règne animal et, par suite, à l’homme tout entier. Si, pour M. J. de Gaultier comme pour Colins et son école il existe une sensibilité métaphysique, il faut convenir qu’elles sont d’essence différente. Il est cependant curieux et intéressant de constater que, partant de prémisses différentes, nous arrivons, d’une manière relative, au système moral dualiste que nous exposons depuis 1842. Nos philosophes modernes se sont aperçus qu’avec l’unité de nature il est impossible de concevoir l’idée de liberté autrement que comme une mécanique dirigeante, celle de l’égalité comme un stupide nivellement du reste impraticable, celle de la fraternité ou solidarité que comme un instrument de domination du fort sur le faible. Nous sommes d’accord sur les mots sensibilité métaphysique et non sur les idées que ces mots expriment et représentent. Les uns appellent métaphysique la science qui vient après la physique ; d’autres la qualifient : théorie de l’abstraction.

Pour le socialisme rationnel la métaphysique est l’opposé de la physique ; le non-physique, l’immatériel, le réel en tant qu’immuable et non-phénomène. Dès lors, la science sociale établit rigoureusement que la métaphysique est le domaine moral, celui du raisonnement, de la liberté, de la vérité, de la réalité. Le principe fondamental de la morale, de la liberté du raisonnement etc., est la sensibilité immatérielle réellement métaphysique. Rien d’identique entre les conceptions du socialisme rationnel et les Thèses de M. J. de Gaultier. Celui-ci en écrivant son livre dans un langage où les mots suivent la loi du transformisme, subissant des mutations comme les espèces, nous présente une métaphysique de l’instinct qui s’épuise jusqu’à l’intelligibilité.

Ce n’est pas le lieu de discuter minutieusement, par l’analyse, les thèses de M. J. de Gaultier. Notre devoir est de donner un raccourci de la thèse métaphysique telle qu’elle nous paraît se dégager de la Science Sociale de Colins et qui est la nôtre. Pour la compréhension facile de ce qui va suivre nous appellerons métaphysique : les mathématiques des réalités. À ce sujet, Liebnitz a dit : « Si quelqu’un voulait écrire en mathématicien dans la métaphysique ou dans la morale, rien ne l’empêcherait de le faire avec rigueur… Je crois que, si on l’entreprenait comme il faut, il n’y aurait pas sujet à le regretter. »

En général, les philosophes s’élèvent contre ce qu’ils appellent l’insoutenable prétention de vouloir appliquer à la philosophie la science rigoureuse des mathématiques. Réfléchissons qu’en dehors des sciences exactes il ne peut y avoir, en morale, que des à peu près. C’est donc la que doit se trouver la vérité qui importe le plus, la vérité sur laquelle nous devons rendre toute contestation impossible, avant de passer à ce qui n’en est qu’une conséquence. Il est superflu d’ajouter qu’une vérité ne peut et ne doit être confondue avec l’illusion plus ou moins empreinte de mysticisme.

N’est-il pas évident que, si nous ne savons réellement ce que nous sommes, et comment nous devons agir pour notre bien, tout comme pour celui de la société, à quoi nous serviraient, sous le point de vue moral ou social les sciences physiques avec leurs incessants et admirables progrès ? On peut en dire autant des sciences exactes avec leurs indubitables théorèmes. Mais on peut les appliquer pour opérer le mal comme pour faire le bien. Si l’ordre moral n’existe pas, s’il n’est d’autre ordre que l’ordre physique, nous n’avons pas de critérium du bien et du mal et nous ne pouvons distinguer les sciences, l’une de l’autre sans crainte de nous tromper.

Le défaut d’une règle morale dont la réalité n’est pas démontrée rationnellement nous livre sans défense à l’entraînement des passions. Les événements sociaux qui seraient l’opposé de ce qu’ils sont si la question morale était connue et en voie de réalisation, ne nous inciteraient pas à suivre les uns les autres, à troubler l’ordre social et à créer ou maintenir le mal que nous paraissons combattre. Le désordre et le despotisme financier de notre époque, qu’un empirisme volontaire entretient, feraient place à une société harmonique où chacun recevrait selon ses œuvres. En résumé, la méconnaissance du droit, l’ignorance de la métaphysique, l’entraînement vers un faux raisonnement sont autant de fauteurs de misères, d’exploitation de l’homme fort sur l’homme faible, de la ruse, comme dit Hégel, sur la loyauté ; c’est-à-dire de l’immoralité de la morale de notre époque.

La question sociale reste toujours une question d’honnêteté scientifique et de vraie moralité. La connaissance de la métaphysique vraie pourra, seule, opérer la rénovation sociale dans le domaine intellectuel aussi bien que dans le domaine économique. — Elie Soubeyran.