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dans l’ascenseur d’un grand magasin, de Chicago, quand elle reconnut le conducteur du corbillard dans l’homme préposé à l’ascenseur et, pour comble, ce dernier ajouta : « Madame, êtes-vous prête ! » D’où recul de la dame, qui refusa de monter. Heureusement pour elle, car la cage s’écrasa sur le sol quelques instants après. Mais une seconde version circula bientôt : la scène se serait déroulée à Paris non à Chicago ; le rêveur était un prince hongrois, non une dame américaine. Une enquête poursuivie, tant à Paris qu’à Chicago, prouva qu’aucun fait de ce genre ne s’était passé. Une sérieuse critique d’un grand nombre de phénomènes supra-normaux, colportés par des fourbes et admis par l’inépuisable crédulité populaire, donnerait des résultats de même ordre. Bien peu de récits merveilleux subsisteraient, et ceux que l’on conserverait, après contrôle, auraient perdu le caractère surnaturel que la légende leur avait complaisamment prêté. Cette adresse, trop grande pour être honnête, elle éclate à propos des prophéties que des voyantes célèbres se croient tenues de débiter, à l’occasion du premier de l’an. Jamais leurs vaticinations ne cadrent exactement avec la réalité ; pourtant elles se bornent à des affirmations vagues qui laissent beaucoup de jeu aux fantaisies de l’interprétation, ce sont des thèmes assez généraux pour s’appliquer à un grand nombre de faits qui se répètent souvent. Au cours de douze mois, il y aura toujours sur notre globe, soit des morts célèbres, soit des procès retentissants ; et malheureusement, dans l’état actuel, pas besoin d’être prophète pour déclarer que les hommes se battront sur l’un ou l’autre coin de la planète : « Voici venir (disait Mme de Thèbes, dans son almanach de 1914), après 1913, année aurorale, voici venir 1914 (du 21 mars 1914 au 20 mars 1915), l’année fulgurante, année des beaux gestes et des grands héroïsmes. Nous serons toujours dans le cycle de Mars, mais en conjonction avec Saturne, au summum, pour ainsi dire, des fatalités du sort, les plus graves, les plus décisives. Année heureuse entre toutes cependant pour nous, dont les cœurs se sont mis à battre pour les grands idéals, sauveurs et régénérateurs des peuples ! malgré le sang, malgré les larmes. Année glorieuse parmi les glorieuses du passé de la France ; année de discorde puis de concorde ; année de haine puis d’amour ; année de déchirements puis d’entente entre les peuples européens et d’autres grands peuples. Les temps sont accomplis, nous touchons aux moissons après tant de semailles où, si souvent, le bon grain tomba sur le sable ou fut emporté par le vent.

« Quel renouvellement d’hommes dans le monde ! Quel appétit de formes nouvelles !… Entendez bien que je ne dis pas que tout, en un moment, se trouvera accompli ; je dis seulement que les choses vont s’accomplir. Douze mois ne sont rien dans la marche du temps. C’est assez cependant pour que se dessine le chemin du destin. 1914 suffira à nous montrer la naissance d’une Europe nouvelle, d’un état d’esprit nouveau, d’une fulguration du réveil de l’idéal, d’un besoin d’amour et de paix pour les grands espoirs et les grands labeurs, et ce sera par le retour au culte du passé, de ce qu’il eut de meilleur, que nous serons encore une fois améliorés, sauvés, régénérés. La paix sortira de la guerre, et ce qui est proche s’arrangera dans la crainte de ce qui est lointain ; l’Europe se consolera de l’ébranlement de l’Asie… » Quelle bouillabaisse, que de vieux clichés, et pourtant, malgré une indéniable adresse à mêler les contraires, quelle preuve accablante de l’ignorance où se trouvait Mme de Thèbes d’un avenir très prochain ! Année heureuse entre toutes 1914 année d’entente entre les peuples et qui devait voir un réveil du besoin d’amour et de paix pour les grands labeurs ! On croit rêver ; heureusement pour les py-

thonisses, le peuple oublie avec une déconcertante rapidité, et les plus cinglants démentis infligés aux prophéties dont on gargarise sa crédulité ne sauraient avoir raison de son inextinguible besoin de merveilleux. Pour n’être pas agrémentées de formules astrologiques, les vaticinations du général X…, rapportées par R. d’Arman, dans Les Prédictions sur la fin de l’Allemagne, n’en sont pas moins pleines de mensonges. « La France, déclarait le général, déjà désolée par les factions, serait alors envahie et dans la nécessité de se défendre avec toutes ses ressources pour ne pas être ruinée, démembrée, asservie. Les égarements de cette vieille terre d’honneur et de foi étant alors punis, Dieu se souviendrait de l’empire de Saint-Louis et de Charlemagne. Il tournerait sa justice contre l’avidité et la malice des superbes, qui avaient juré le renversement du royaume très chrétien. Un premier appel aux armes n’aurait pas sur la nation un effet décisif ; mais un second appel est entendu. L’ardeur de la croisade se ranime comme au xiiie siècle. Le révélateur exhibe la découverte d’un engin de guerre formidable. L’enthousiasme est à son comble. Neuf jours après les démonstrations de l’engin puissant, une affaire s’engage avec l’ennemi. L’avantage demeure aux Français. Le général chef de ces derniers, hardi, prudent, religieux, doué en tout d’éminentes qualités, ne dédaignant pas les bons conseils se trouve à la hauteur de la situation. Tout d’abord, les ministres sacrés avaient été appelés sous les armes, mais sur l’avis de l’homme inspiré, ils sont laissés dans leurs foyers pour consoler les populations déjà si désolées des malheurs de l’État. L’agitation est extrême, tout change de face aussi. Les cœurs ouverts à l’espérance sourient à la joie d’une rénovation générale. Cependant, le plus pressé est de balayer l’étranger de notre territoire. La veille d’une bataille décisive, les Italiens osent réclamer Nice et se mettent en marche sur Lyon. Apprenant la défaite de leurs Alliés, ils repassent la frontière. Une nouvelle bataille se livre, les chances sont douteuses un moment mais c’est aux armes de la France que reste la victoire. L’étranger a 80.000 hommes hors de combat. Trois de ses armées reculent par des chemins différents. Metz est délivré, le Rhin est passé ; la coalition est détruite, la domination germanique finit. La prépondérance de la France est rétablie. L’Europe se réorganise. La Pologne obtient sa nationalité. » Les erreurs foisonnent dans ce morceau, inspiré au général X… par le dieu de Charlemagne et de Saint-Louis ; et comme cette bien-pensante prophétie vous a des allures religieuses et politiques ! Son auteur était réactionnaire, voilà le seul renseignement qui s’en dégage avec une clarté parfaite.

Elles abondent, d’ailleurs, les prédictions de ce genre, véritables machines de guerre, dont le but évident est de magnifier l’autel et le gouvernement, quand il ne s’agit pas de préparer les esprits simplistes à une guerre ou à un coup d’État. On dit que de 1914 à 1918, voyantes, cartomanciennes etc., reçurent, à Paris, l’ordre impérieux d’annoncer la victoire française, sous peine de voir fermer leur cabinet. La fameuse Mme Lenormand n’affirmait-elle pas que « la guerre serait de courte durée », et ceci en 1913 ! Voilà qui doit retenir l’attention des indiscrets qui veulent connaître les secrets desseins des gouvernants, à l’heure où les prophéties éclosent dans le cerveau des devins en renom.

S’agit-il d’apparitions fantomales, de photographies transcendantales, de rayonnement magnétique, de lévitation à distance d’objets matériels, etc. la défiance ne saurait en rien diminuer. Car l’opinion des psychistes officiels n’est point faite pour rassurer ; constatant que le nombre des médiums diminue singulièrement depuis que le contrôle devient plus sérieux, ils vou-