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MUS
1720

Rabelais défendait contre ses « écorcheurs ». D’abord exclusivement mélodique et monodique, comme la musique antique, le plain-chant s’enrichit de l’harmonie, c’est-à-dire, suivant la définition d’Isidore de Séville au vie siècle, d’ « une concordance de plusieurs sons et leur union simultanée », mais il se compliqua aussi d’une polyphonie plus ou moins barbare. L’invention de l’orgue au xe siècle, puis celle de la notation musicale qui fut appelée gamme par Gui d’Arezzo, au xie siècle, permirent de rapides progrès qui conduisirent d’abord au déchant, première forme du contrepoint. Les progrès de l’art musical furent dus en grande partie à des gens d’église.

Au moyen âge, la musique fut enseignée dans les écoles et pratiquée dans les couvents. Le monastère de Saint-Gall était le centre musical du monde au ixe siècle. Ses moines composaient de la musique en collaboration avec le roi Charles le Chauve. Chartres eut, du xie au xive siècle, une grande école de musique. Il en exista une chaire à l’Université de Toulouse au xiiie siècle. Celle de Paris compta parmi ses professeurs les théoriciens les plus fameux de la musique aux xiii et xive siècle. La musique était, avec l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie, un des sciences supérieures du quadrivium qui formait, avec les sciences élémentaires du trivium, le programme scolastique. A côté des écoles religieuses qui établissaient les premières routines académiques, les écoles de ménestrandie ou Scholæ Mimorum enseignaient l’art plus libre des trouvères et des troubadours continuateurs des anciens rapsodes, des scaldes et des bardes. Musique religieuse et musique profane ne se distinguaient guère. De même que la première musique de la messe avait été des hymnes antiques consacrés à Vénus, les développements qu’elle prit avec le plain-chant furent de source populaire comme la vie qui se manifestait dans l’Église.

La musique participa d’une façon moins apparente mais non moins active que les autres arts au magnifique épanouissement de la période gothique des xiie et xiiie siècle. Il y a lieu d’insister sur ce que cet art était inséparable de la poésie et de la danse nu moyen âge. Le poète était à la fois bien disant et bien chantant. Alain Chartier disait adieu à la musique en même temps qu’à la poésie. Charles d’Orléans était aussi bon musicien que bon poète. Arnoul Gréban, le prolixe auteur d’un Mystère de la Passion, était organiste à Notre-Dame et il écrivit pour son mystère une œuvre musicale qui en faisait une sorte d’opéra et d’oratorio, tel que les Sacra Rappresentazione, drames sacrés italiens. La Renaissance, qui distinguerait le poète et le musicien, maintiendrait toutefois l’union des deux genres.

Lorsqu’au xive siècle Guillaume de Machaut inventa le mode de notation musicale qui est actuellement employé, l’art du contrepoint était arrivé à sa forme définitive. De nouveaux instruments multipliaient les moyens d’exécution. Mais cette époque fut surtout celle de la musique vocale qui devait apporter à la Renaissance un de ses plus beaux fleurons artistiques, peut-être le plus beau, en brisant toutes les résistances scolastiques pour répandre, même dans la musique d’église, le souffle de la vie et les plus pures émotions. On a été étonné, au xixe siècle, quand on a découvert cette merveilleuse polyphonie vocale que le classicisme avait ensevelie sous les pompes solennelles de son prétendu « bon goût », comme il avait rayé en quelques vers de Malherbe la littérature du moyen âge. L’histoire, même celle des arts, avait ignoré la musique, « art inférieur ». Elle avait jugé important d’enseigner au monde qu’Henri III jouait au bilboquet et à d’autres jeux moins innocents, que François Ier disait : « souvent femme varie », mais elle ne s’était nullement intéressée à la place occupée par la musique de la société de leur temps. Ce fut pourtant l’époque de l’école des musiciens français et flamands, incomparable par le

nombre et la valeur de ses maîtres parmi lesquels furent Guillaume de Fay, Danstaple, Gilles Binchois, Jean Gekeghem, Obrecht, Joaquin de Prez, Clément Jannequin, Adrien Villaert, Michelet qui vit dans l’histoire autre chose que des joueurs de bilboquet et des rois galants, a célébré cet épanouissement dans le pays wallon du « vieux génie mélodique » qui était alors « la vraie voix de la France, la voix même de la liberté ». Le xvie siècle couronna cette admirable floraison musicale avec l’œuvre de Roland de Lassus. « Jamais la France ne fut aussi profondément musicienne ; la musique n’était pas l’apanage d’une classe, mais de toute la nation : noblesse, élite intellectuelle, bourgeoisie, peuple, église catholique, églises protestantes. La même surabondance de sève musicale se fit sentir dans l’Angleterre d’Henry VIII et d’Elisabeth, dans l’Allemagne de Luther, dans la Genève de Calvin, dans la Rome de Léon X. La musique fut le dernier rameau de la Renaissance, le plus large peut-être, il couvrit toute l’Europe (R. Rolland).

En France, les poètes de la Pléiade marièrent la musique et la poésie au point que Ronsard disait : « Sans la musique, la poésie est presque sans grâce, comme la musique sans la poésie des vers est inanimée et sans vie ». En Italie, où tous les autres pays avaient été devancés dans la musique comme dans les autres arts, tous les artistes étaient musiciens, les Giorgione, Tintoret, Sébastien del Piombo, Titien, Véronèse, Le Vinci, et de moins célèbres. Tous les arts étaient musique, pour eux comme pour Michel Ange, et les princes les entretenaient fastueusement ; Le Tasse fut pour la musique, en Italie, ce que Ronsard fut en France, ce que Shakespeare fut en Angleterre, ce que Goethe serait en Allemagne, quand il verrait dans la musique « l’âme de la poésie » et serait « le plus génial des musiciens » (R. Rolland). Pendant que les sonnets de Ronsard inspiraient les musiciens Pierre Certon, Claude Goudimel, Clément Jannequin, Pierre Cléreau, Muret, Cusiétey, Nicolas de la Grotte, Roland de Lassus, Philippe de Monte et François Regnard, Le Tasse donnait trente-six madrigaux à mettre en musique à Gesualdo, prince de Venosa, qui avait institué dans sa maison une Académie de musique.

Ce fut à cette époque que naquit la musique dramatique dont nous parlerons plus loin. Jusque là, il n’y avait eu que la musique de concert appelée « musique pure », parce qu’elle ne tire ses effets que d’elle-même. C’est à cette musique pure que la Renaissance eut « la gloire de donner sa forme définitive et parfaite ». C’est en cela qu’elle fut « l’âge d’or de la musique polyphonique » (H. Quittard). Palestrina en Italie, Roland de Lassus en Flandre, apportèrent à cette musque, avec le sentiment de la nature dans lequel ils furent dépassés par Joaquin de Prez, Vittoria, Jakobus Gallus, une perfection de style et une beauté de la forme que seuls, selon R. Rolland, Haendel et Mozart ont égalées dans certaines pages.

L’expression musicale état en puissance dans la chanson populaire transformée successivement en canzone, ballade villanelle, jeu-parti, madrigal, et avait trouvé une première forme dramatique dans l’œuvre d’Adam de la Halle. La Renaissance fit se rencontrer cette expression avec celle de la tragédie antique et il en sortit la tragédie musicale ou opéra. Tout d’abord on essaya d’accompagner de musique la déclamation dramatique. Les tentatives de Baïf, de Ducauroy, de Mauduit furent sans succès, la musique polyphonique du xvie siècle étant peu favorable à cet usage, et la mélopée des acteurs demeura la seule expression vraiment musicale de la tragédie. Les musiciens italiens trouvèrent la solution qui allait conduire la tragédie à l’opéra et au prodigieux succès qui en fit la forme la plus brillante, sinon la plus parfaite, de l’expression