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musicale aux époques du classicisme et surtout du romantisme, malgré les développements et les hauteurs qu’atteignit la musique de concert à partir du xviiie siècle. Les musiciens florentins qui créèrent l’opéra : Caccini, Peri, Emilio del Cavalieri, Vincenzo Galiéi, etc., recoururent à la mélodie et au chant à une voix seule suivie et soutenue par les instruments. Déjà, en 1474, le poète Politien et le musicien Germi avaient commencé en composant un Orfeo, dont le succès avait été éclatant à Mantoue. En 1486, une Dafné, de Gian Pietro della Viola, avait suivi. Ces auteurs s’étaient inspirés eux-mêmes des Sacra Rappresentazione, spectacles populaires religieux qui étaient des mystères avec musique. D’abord mimés, ces mystères avaient formé ensuite de véritables spectacles d’opéra avec paroles déclamées et chantées, soli, chœurs, orchestre, danses, costumes et mise en scène à laquelle les plus grands artistes du temps n’avaient pas dédaigné d’employer leur talent : Brunelleschi, Raphaël, Léonard de Vinci, et d’autres. Toutes les formes de la chanson et de la danse populaires participaient aux Sacra Rappresentazione et sont à l’origine de l’opéra, du ballet, et des deux réunis. Les premiers véritables opéras sont de la fin du xvie siècle et du commencement du xvii. Les musiciens, particulièrement Monteverde, étaient arrivés alors, par les progrès apportés dans l’harmonie, à atteindre une expression que la musique moderne n’a guère dépassée. L’œuvre du Tasse fournit à leur inspiration de nombreux poèmes.

La premier opéra, joué à Paris fut l’Orfeo, de Luigi Rossi, au théâtre du Palais Royal, le 2 mars 1647. Il fut interprété par là troupe italienne des Barberini, attirée en France par Mazarin et qui avait eu le plus grand succès dans de nombreux concerts. Une très vive opposition de l’Église s’étant manifestée contre les nouveaux spectacles apportés par les Italiens, l’opéra, malgré sa réussite, dut attendre pour commencer sa véritable carrière jusqu’en 1654. On joua alors le Triomphe de l’Amour, de Michel de la Guerre et de Charles de Beys, puis la Pastorale, de Perrin et Cambert (1659), le Serse, de Cavalli (1660). En 1671, la Pomone, de Cambert, inaugura l’Académie d’opéra. Le nouveau genre de spectacle, auquel le ballet ajouterait sa somptuosité quand il passerait du théâtre de la cour à celui de la ville, allait avoir en France un succès grandissant en même temps qu’il se perfectionnerait. Lulli, en particulier, en serait l’animateur sous le règne de Louis XIV. Il se dégagerait de l’influence italienne avec les musiciens français Cambert, Campra, et surtout Rameau qui a donné, avec Gluck et Mozart, ses chefs-d’œuvre définitifs à l’opéra du xviiie siècle. Mais avant que leur valeur fût reconnue, ils eurent longuement à lutter contre l’influence italienne des Paisiello, Sadi, Cimarosa, Sacchini, Salieri, Piccini. La querelle des gluckistes et des piccinistes passionna la cour de Versailles au temps de Marie Antoinette. Ils convient de ne pas oublier, parmi les musiciens qui s’illustrèrent dans l’opéra au xviiie siècle, un des compositeurs les plus grands et les plus féconds, Haendel. Allemand et peu connu alors en France, il composa une cinquantaine d’opéras, de caractère italien pour la plupart, qui furent joués surtout en Angleterre où il s’était établi. Mais la véritable gloire d’Haendel fut dans ses oratorios.

À côté de l’opéra proprement dit s’était formé l’opéra buffa, où la verve italienne excellait. Il se mêla en France aux différents genres exploités par le Théâtre de la Foire (voir Théâtre), vaudevilles à couplets, comédies à ariettes, parodies d’opéras, plus ou moins agrémentés de jongleries, de pantomimes et de danses. Tout cela donna naissance à l’opéra comique. Le genre fut appelé bien improprement « éminemment français », car ses chefs-d’œuvre, la Serva Padrone, les Noces de Figaro, le Barbier de Séville, le Mariage secret, sont de musiciens étrangers : Pergolèse, Mozart, Rossini et Ci-

marosa. L’opéra comique français n’a fourni que des comédies trop mauvaises pour être représentées sans musique, et sa musique est des plus médiocres, très souvent inférieure à celle de l’opérette dont le genre, moins prétentieux, a plus de verve et de gaieté. Mais l’opéra comique convenait remarquablement à la distraction des bons bourgeois qui ne demandaient à la musique que le « plaisir de l’oreille » ; aussi eut-il un succès considérable pendant plus de cent ans. Il eut même deux théâtres à Paris, à la fin du xviiie siècle, dans les salles Feydeau et Favart. Son répertoire était abondamment pourvu par une foule de musiciens dont les plus connus furent Duni, Philidor, Monsigny, Laruette, créateurs du genre, puis Grétry, Dalayrac, Nicolo, Méhul, Lesueur, Boieldieu, Hérold, Auber, Halévy, A. Adam, Maillart, Meyerbeer, Flotow, Massé, A. Thomas, et plusieurs parmi les contemporains.

Gluck, en renouvelant l’antiquité musicale par des moyens modernes où s’étaient essayés déjà Carissimi et Métastase, Mozart, en mettant dans les formes italiennes de son Don Giovani les accents les plus profonds des pulsions humaines, avaient ouvert la voie à l’opéra romantique. Beethoven en produisait le premier chef-d’œuvre, Fidelio, en 1822, et Weber en donnait le modèle définitif dans Freychutz, en 1823. Auber, Meyerbeer, Halévy suivirent à des degrés de valeur bien différents la voie de Weber. Ils furent continués par F. David, Gounod, Reyer, Saint Saëns, Massenet, qui s’adaptèrent avec plus ou moins de bonheur à la « musique de l’avenir » dont Berlioz et Wagner furent les deux protagonistes. En même temps, l’opéra italien continuait sa brillante carrière avec Spontini, Rossini, Bellini, Mercadante, Donizetti, Verdi, pour échouer, depuis trente ans, dans ce lamentable vérisme où il patauge toujours, encouragé par un succès de mauvais aloi.

Les Sacra Rappresentazione, ou mystères, qui avaient (donné naissance à l’opéra profane, se continuèrent durant un certain temps dans l’oratorio. Il fut à l’origine un opéra religieux avec chant, chœurs, orchestre, danse, et toutes les attractions du costume et du décor. Le nom de ce spectacle, « oratorio », lui vient de l’église de l’Oratoire où les Oratoriens l’organisèrent au xvie siècle, sous l’impulsion du fondateur de leur ordre, Philippe de Néri, pour attirer les fidèles. Le genre se développa au xviie siècle, en Italie, et son premier grand compositeur tut Carissimi, auteur de nombreux ouvrages dont les sujets furent puisés dans la Bible ; mais ce fut Haendel qui lui fit atteindre sa plus complète expression dans la grandeur de la pensée et la beauté de la forme. Haendel était physiquement un géant, il le fut aussi comme artiste. Il lui fallut une force et une Énergie extraordinaires pour triompher dans la lutte qu’il soutint en Angleterre où l’on fit de lui un dieu a près l’avoir abreuvé d’avanies. L’oratorio prit avec lui les proportions des grandes œuvres dramatiques et cessa d’être un spectacle ; il devint de la musique pure exécutée au concert. Son intérêt, dépouillé du mouvement et de la décoration scéniques, n’exista plus que dans la musique et l’interprétation des chanteurs et des instrumentistes. Haendel composa une vingtaine d’oratorios, véritables cathédrales de l’architecture musicale, tant par la majesté et l’harmonie de leurs proportions que par la beauté de leurs lignes et de leur expression. Israël en Égypte, le Messie, Samson, Joseph, Judas Macchabée sont les plus connus. Dans le même temps qu’Haendel, J. S. Bach composait la Passion selon Saint Mathieu, la Passion selon Saint Jean, une Nativité et l’Oratorio de Pâques. L’oratorio devint l’élément le plus important des grands concerts appelés « spirituels » donnés dans les églises ou les salles de concert plus ordinaires, et de nombreux musiciens en écrivirent. Haydn produisit sa Création ; Beethoven, le Christ au