Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
341
L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

principe suprême métaphysique qui fait verser le sang de la victime humaine devant l’autel des idoles, sur l’échafaud ou au champ des massacres, en l’honneur d’un Dieu unitaire et trinitaire.

Au commencement la religion est innocente, et quand elle croit voir l’être humain sous forme d’un être surhumain, elle efface aussi avec une joie poétique cette séparation immédiate de l’homme et de son Dieu, en identifiant naïvement ces deux êtres. Mais quand elle devient plus âgée, elle commence à raisonner, elle réfléchit sur sa propre essence, en un mot elle devient théologie, cela veut dire qu’elle élabore systématiquement la séparation des deux essences humaine et divine, et qu’elle détruit avec une fureur anti-humaine, infernale, sophistique leur identité qui avait déjà commencé à se montrer.

Le Dieu créant et gouvernant tel que les théologiens catholiques et acatholiques l’enseignent, avions-nous dit, est aussi méchant que le Démon ; —  il l’est encore plus parce qu’il n’est pas ouvertement méchant ; il simule une suprême bonté, il dissimule sa malice, et ressemble surtout, non à l’Être humain en générât, mais un homme d’un naturel rusé et profondément dépravé : « Dieu ne peut avoir eu dans ses actions, dans ses décrets et dans sa providence d’autre fin que sa propre gloire (dit Jurien). » « Mais ce qui va décider de tout, c’est le souverain droit de Dieu sur ses créatures, cette puissance sans bornes doit imposer silence à l’homme. » Et Jacquelot « Quand Dieu créa l’univers, il n’avait pour but que lui-même et sa propre gloire. » —  « Des masses immenses d’âmes humaines périssent, mais (dit Jurien) n’importe, elles ne périssent que par leur faute : Ipse est finis, et gloriam suam plus amat Deus quam omnes creaturas. » Ce n’importe doit flatter singulièrement une pieuse oreille.

Mais voici la fleur, Th. Beza nous la présentera : « Dieu s’était proposé de créer tous tes individus humains pour sa gloire or, cette gloire ne saurait guère être manifestée et reconnue que sous forme de justice et de miséricorde ; donc il a décrété et arrêté un jugement éternel et immuable, dans lequel il donne de pure grâce a quelques-uns le bonheur éternel, et a d’autres la damnation éternelle ; c’est pour manifester là sa justice, ici sa miséricorde. » C’est clair au moins les autres partis ont eu tort d’attaquer Bèze, qui est ici d’accord avec le Père des Pères (Civit. Dei, XXI, 12).