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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

« Dieu arrangea donc la possibilité du péché originel, pour faire naître la misère afin que sa miséricorde puisse s’exercer… Mais toutefois sans aucun coulpe de Dieu. » Le Démon est moins diabolique que ce Dieu qui fait cacher sa méchanceté par les théologiens derrière une apparence d’amour paternel ; ils ont du reste fait des sacrifices pour lui rendre grâces ; les protestants lui ont immolé leur intelligence et même le principe de leur foi réformée, qui dit précisément que Dieu, mourant sur la croix, aime ses créatures plus que sa propre gloire, et les catholiques ont fait fumer son autel du sang des victimes humaines, qu’ils abattaient, non comme leurs prédécesseurs, les païens, pour concilier Dieu, mais pour honorer sou nom. Ce qu’il y a de piquant dans tout ceci, c’est l’absence complète de toute logique. On commence par définir la divinité comme un Être individuel qui ne diffère point de tout autre être individuel ayant ses limitations, ses affections spéciales, sa manière de voir à lui, et on finit la phrase par glorifier l’incomparabilité et l’incompréhensibitité de ce Dieu. En d’autre termes, la théologie, en voulant hautainement franchir les lois de la raison, tombe dans l’abîme du caprice et de l’arbitraire.

L’atrocité de Bèze et Calvin est toute théologique, et n'appartient pas à leur époque, car leur contemporain, G. Bruno, a pu prononcer les idées les plus pures, les plus sublimes : « Non ſa Giove le cose a modo de gli particolari efficienti ad una ad una con molte attioni… ſa con un’atto semplice e singolare (Sp. de la bestia, I, 77) ; » tandis que Tertullien donne même un corps a son Dieu trinitaire. Certes, religion sans aucune trace de philosophie est idolâtrie mais il y en beaucoup de sortes. G. Bruno dit que les dieux exigent de la vénération et de la crainte non pour leur gloire, mais uniquement pour le salut de l’homme : « Ils ont fait les lois universelles pour communiquer la gloire divine aux Mortels, et nullement pour la faire augmenter par ceux-ci. » Le Dieu du théologien est représenté ainsi par l’égoïsme, celui du philosophe italien par la simplicité naïve (semplicità) de la vertu qui se manifeste sans s’en glorifier, même sans s’en apercevoir.

Ce n’est donc que la philosophie qui, en dépit du chevalet et bûcher, soit capable de s’élever au-dessus de l’anthropomorphie et de l’anthropopathie. Cette idolâtrie doit avoir été très enracinée au temps de Bayle : on voit avec douleur comme il est prolixe dans ses