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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

la valeur morale de cette action. Autos epha : —  Dixit : voilà tout ; Dieu ne peut lui ordonner que ce qui est bon. J. Clericus : « Quod crudeliter ab hominibus sine Dei jussu fieret aut factum est, id debuit ab Hebræis fieri, quia a Deo, vitæ et necis summo arbitro, jussi bellum ita gerebant (Comm. in Mos. Numer., 31, 7), » —  « Multa gessit Samson, quæ vix possunt defendi, nisi Dei, a quo homines pendent, instrumentum fuisse censeatur (le même auteur, Comm. in Judicum, 14, 19), » et Luther aussi (I, 339, XVI, 495) est persuadé que quand Dieu a fait par la main d’Israël et pour Israël des actes cruels ou atroces, perfides ou infâmes, il a bien fait. Si par hasard les commandements de Dieu sont d’accord avec la vertu, tant mieux pour la doctrine morale ; s’ils sont en opposition avec elle, cela ne regarde pas la foi révélée. Morale et révélation ne sont point deux lignes toujours parallèles.

La croyance révélée gâte ainsi le sens moral, le goût moral, l’esthétique de la vertu, pour ainsi dire ; elle fait malheureusement encore plus, elle empoisonne perfidement le sens du vrai, qui est le plus précieux, le plus délicat, le plus divin dans notre être. C’est là son véritable crime de lèse-humanité. La révélation de Dieu a cela de particulier qu’elle date d’une époque fixée, d’un lieu fixé, elle a été faite à un homme, à un peuple, à une nationalité, c’est-à-dire, nullement à l’homme en général, à l’humanité, au genre humain, mais à des individus particuliers qui étaient renfermés dans mille limites morales, intellectuelles et physiques. D’où s’ensuit que cette révélation veut être fixée à son tour, par écrit, afin que d’autres individus également bornés de mille manières en puissent jouir par la voie traditionnelle. Or, un résultat inévitable de cette tradition révélée sera la croyance aveugle à l’autorité religieuse et politique, seront la superstition et la sophistique religieuses avec toute leur mauvaise queue de fanatisme, de brutalités et de perfidies. Comment, vous vous en étonneriez, après avoir érigé en drapeau éternel pour tout l’avenir de l’humanité un pauvre petit livre historique, écrit sous des conditions temporelles ou plutôt temporaires, sous des circonstances particulières ? Et prenez-y garde, votre foi biblique n’est sincère, et partant respectable, voire même aimable, que quand elle accepte comme parole divine tout, absolument tout ce qu’on lit dans la Sainte Écriture ; mais aussitôt que vous y établissez des distinctions entre des phrases absolument