Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
370
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

divines et des phrases relativement divines, entre des mots surnaturels et des mots mondains, entre un sens éternel et un sens temporel, vous subtilisez, vous n’êtes plus que des hypocrites qui se donnent l’air d’être des croyants. Vous ne devez point séparer ; le moindre doute, scientifique ou autre, déchire pour jamais les mailles du tissu de la révélation écrite, Ce qui est réellement divin, est uni, entier, un et indivisible, basé sur Dieu ; la Bible est donc une fois pour toutes au-dessus de la critique. Un livre sacré diffère d’un livre profane en tout point, et pour le vénérer je n’ai pas besoin, ce me semble, de faire d’abord des études préparatoires ; je n’ai pas besoin d’aller à la recherche des traces de l’Esprit Saint, de feuilleter l’apôtre Paul, l’apôtre Pierre, et Jacques, et Jean, et Matthieu, et Marc, et Luc, avant de pouvoir dire : « Enfin j’ai rencontré un mot divin, valable pour tous les peuples et pour tous les pays. »

Elle était imposante, cette altière foi biblique du passé, imposante dans tout son fanatisme qui obscurcissait l’intelligence et brûlait le cœur, quand elle avançait hardiment que l’inspiration de Dieu s’était étendue à chaque mot et à chaque syllabe. On ne saurait en effet séparer le mot et la pensée ; l’un est l’habit de l’autre, une pensée donnée ne peut avoir qu’une seule expression déterminée, et qui la rend entière ; changez un mot, une syllabe du mot, une lettre de la syllabe, et vous changez sa pensée. Une croyance de cette sorte est de la superstition, je le veux bien, mais elle est franche, elle n’a pas honte d’elle-même. Voyez, le Dieu de la Bible a compté tous vos cheveux, et tous les moineaux, dont aucun ne tombe sans la volonté de Dieu, et il aurait négligé les syllabes, les lettres, et la ponctuation du texte biblique ? Il y va du salut éternel des âmes, et ce Dieu omniscient n’aurait pas dicté mot par mot les phrases divines ? il les abandonnerait à l’ignorance et à la méchanceté de quelques écrivains ? Impossible.

« Mais, dit-on, si l’homme n’était qu’un instrument, qu’une simple plume à écrire du Saint-Esprit, il n’y aurait plus de place pour la liberté humaine. » C’est un illogisme et un blasphème à la fois. La liberté humaine ne vaut assurément pas la vérité divine, et comme elle ne sait point faire autre chose que déranger le texte divin, nous nous passerons volontiers d’elle. Avec raison les jansénistes disaient aux jésuites ; « Vouloir reconnaître dans l’Écriture