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ÉRASME MOINE.

moines, amis et inconnus. » L’un vient lui peindre les douceurs de la vie religieuse ; l’autre, les dangers de la vie séculière. On lui répète à satiété l’apologue du voyageur qui s’est assis sur le corps d’un énorme serpent, qu’il prenait pour un tronc d’arbre. Le monstre s’est réveillé et l’a dévoré. Ce dragon, c’est le monde : il tue les imprudents qui ne le fuient pas assez vite.

Il fallait un piège moins grossier pour triompher d’Érasme. Ce piège qui le fit trébucher dans une vie qu’il détestait fut son goût passionné de l’étude. Un jour qu’il visitait non loin de Ter-Gouw le couvent d’Émaüs ou Stein, de l’ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin, il retrouve un ancien camarade de Deventer, Cornélius Werden, qui lui vante les charmes de sa vie consacrée à la prière et aux Muses. Séduit par ce tableau, impatient surtout d’échapper à ses tuteurs, il se décide à éprouver sa vocation, et, quoi qu’en ait dit Gui Patin[1], il prononce ses vœux, après un an de noviciat. Mais Érasme s’aperçut trop vite qu’il avait été trompé, qu’il était tombé dans une sorte d’abbaye de Thélème, « où l’on avait le droit de s’enivrer de compagnie, mais où l’on ne pouvait travailler qu’en secret[2]. » Du moins il savait chercher dans l’activité de l’étude l’oubli de ses tribulations. Pendant que les moines ses frères réparaient le jeûne du matin par de copieux festins, et rendaient plus facile celui du lendemain, il s’enfermait dans sa cellule et avec Werden passait à travailler une partie des nuits.

Du séjour d’Érasme au couvent de Stein, qui dura cinq années (1486 à 1491), datent plusieurs ouvrages assez courts, et qui ne sont à vrai dire que des exercices

  1. Lettre du 10 sept. 1662.
  2. App. Ép. 442.