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VIE D’ÉRASME.

C’était le souvenir d’une courtoise discussion qui s’était élevée entre eux sur le sens de ces mots mystérieux. Colet, d’accord avec saint Jérôme, ne voulait pas que la tristesse du Christ au jardin des Olives eût été un mouvement de crainte, indigne d’un Dieu, puisque plusieurs saints, devant la mort qui les menaçait, ne l’avaient pas eux-mêmes ressenti. Le cœur de Jésus, pensait-il, avait saigné en songeant au malheur des Juifs qui l’avaient méconnu et dont la race devait être maudite. Érasme au contraire entendait les paroles du Christ au sens littéral, et il expliquait ce tressaillement involontaire par une surprise de la nature humaine confondue dans la personne de Jésus à la nature divine. Sans nous arrêter à cette solution, qui du moins accuse la tendance d’Érasme à restreindre le côté surnaturel de la vie de Jésus, nous pouvons relever dans cette courte dissertation une méthode déjà plus libre, dégagée des procédés scolastiques. Le raisonnement, au lieu de s’étayer sur lui-même, s’appuie sur l’observation et l’analyse des faits.

La réputation d’Érasme, qui s’étendait chaque jour, lui valait cette année même l’un de ces honneurs officiels auxquels il est difficile de se dérober sans mauvaise grâce. Les États de Brabant l’avaient en effet désigné pour célébrer le voyage de Philippe le Beau en Espagne et son heureux retour dans sa patrie. Ce prince, archiduc d’Autriche, fils de l’empereur Maximilien et de Marie de Bourgogne, était devenu à la mort de sa mère, en 1482, souverain des Pays-Bas. Marié à Jeanne, fille de Ferdinand et d’Isabelle, il se voyait destiné à recueillir un jour du fait de sa femme la succession de la couronne d’Espagne. Ferdinand l’avait engagé à y venir résider quelque temps, pour connaître les lois et les mœurs des pays qu’il était appelé à gouverner. Philippe et Jeanne, quand