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convives affamés qui n’ont pas le loisir d’observer, à table, ce qui se passe autour d’eux. J’ai fait cette remarque en plusieurs autres occasions. Ma tante avoit les yeux si fascinés, que quand elle nous surprenoit en tête-à-tête à son retour du bain (et cela arrivoit souvent), il suffisoit d’un reproche obligeant de M. Fitz-Patrick sur sa longue absence, pour écarter de son esprit toute espèce de soupçon. Mon amant usoit encore d’un stratagème qui lui réussissoit à merveille. Il me traitoit, en sa présence, comme un enfant, ne m’appelant jamais que la jolie petite miss. Ce ton de légèreté ne plut d’abord qu’à demi à votre humble servante ; mais j’en devinai bientôt le motif, surtout lorsque je vis que M. Fitz-Patrick changeoit de langage et de manières, aussitôt que ma tante avoit les talons tournés. Cependant, si je ne fus pas offensée d’une conduite dont j’avois pénétré le but, j’eus beaucoup à en souffrir. Ma tante prit à la lettre le nom que me donnoit, par plaisanterie, son amant prétendu, et me traita sous tous les rapports comme un véritable enfant. Je m’étonne même qu’elle n’ait pas songé à me remettre des lisières.

« Enfin, M. Fitz-Patrick crut devoir m’apprendre avec solennité un secret que je savois depuis long-temps. Il m’assura que j’étois l’unique objet de la passion qu’il avoit feinte pour ma