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de conserver fidèlement ces traits, et d’en varier l’expression. Le secret de faire ressortir les nuances délicates qui différencient deux personnes atteintes du même vice, ou de la même folie, est un autre talent aussi rare dans les écrivains, que l’heureuse faculté de l’apprécier et d’en jouir dans les lecteurs. Ainsi tout le monde peut distinguer un épais financier d’avec un sémillant petit-maître ; mais pour saisir la différence entre un élégant citadin et un brillant seigneur de la cour, il faut un jugement exquis. De vulgaires spectateurs, privés de cette finesse de tact, commettent souvent au théâtre de grandes injustices. Nous avons vu maint poëte courir le risque d’être convaincu de plagiat, sur une preuve beaucoup plus légère que n’est réputée la ressemblance des écritures, devant les tribunaux ; et l’on pourroit craindre que toutes les veuves amoureuses qui paroissent sur la scène, ne fussent condamnées, comme de serviles copies de Didon, si par bonheur, la plupart de nos critiques de théâtre n’étoient pas trop ignorants pour lire Virgile.

Enfin, mon digne ami (car peut-être as-tu le cœur meilleur que la tête), garde-toi de prononcer qu’un caractère est mauvais, parce qu’il n’est pas entièrement bon. Si les caractères parfaits ont seuls le privilége de te plaire, il ne manque pas de livres propres à satisfaire ton goût ;