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« Mon mari connoissoit la plupart des officiers en garnison dans une ville de notre voisinage. Parmi eux se trouvoit un lieutenant, jeune homme remarquable par l’agrément de sa figure et de ses manières ; il avoit une femme d’un caractère et d’un esprit si aimables, que dès le premier moment de notre connoissance, c’est-à-dire, peu de temps après mes couches, nous devînmes amies intimes ; car j’eus le bonheur de lui plaire autant qu’elle me plaisoit.

« Comme le lieutenant n’aimoit ni à chasser, ni à boire, il passoit d’ordinaire son temps avec nous, et ne voyoit mon mari qu’autant que la politesse l’exigeoit d’un homme qui passoit sa vie dans notre maison. M. Fitz-Patrick montroit souvent beaucoup d’humeur de ce qu’il préféroit ma société à la sienne ; il s’en irritoit contre moi, me reprochoit de lui enlever ses camarades, et disoit que je méritois mille malédictions, pour avoir gâté un des plus jolis garçons du monde, et en avoir fait un Céladon.

« Ne vous imaginez pas, ma chère Sophie, que la colère de mon mari provînt de ce que je lui enlevois un compagnon. La conversation spirituelle du lieutenant n’étoit pas faite pour plaire à un sot tel que lui. D’ailleurs M. Fitz-Patrick n’avoit aucun droit de m’imputer la privation de sa compagnie ; car je suis convaincue que le plai-