Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 3.djvu/137

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sir qu’il trouvoit dans la mienne, l’engageoit seul à fréquenter notre maison. Non, mon enfant ; ce qui excitoit son courroux, c’étoit l’envie, et la pire espèce d’envie, celle qui pardonne le moins, l’envie qu’inspire la supériorité d’esprit. Le misérable s’indignoit de la préférence que me donnoit sur lui un homme dont il ne pouvoit être jaloux, sous aucun rapport. Ô ! ma chère Sophie, vous êtes une femme sensée ; si vous épousez, comme cela est probable, un homme qui ait moins d’esprit que vous, éprouvez soigneusement son caractère avant le mariage, et voyez s’il sera capable de se soumettre à votre supériorité. Promettez-moi, Sophie, de suivre ce conseil. Vous en sentirez dans la suite l’importance.

— Il est très-vraisemblable, répondit Sophie, que je ne me marierai point. Du moins, j’espère n’épouser jamais un homme qui, avant le mariage, me paraîtroit manquer de bon sens ; mais plutôt que de l’en croire ensuite dépourvu, j’aimerois mieux renoncer à mon propre jugement.

— Renoncer à votre propre jugement ? Fi ! mon enfant, je ne saurois si mal penser de vous. Quant à moi, c’est le dernier sacrifice auquel je me résignerois. La nature n’auroit pas donné aux femmes, en tant d’occasions, une intelligence supérieure, si elle avoit voulu que nous en fissions l’abandon à nos maris. Les hommes raison-