Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 3.djvu/335

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cousine a bien de la peine à lui faire prendre quelque nourriture. Il m’a dit à voix basse… aurai-je la force de le répéter ?… il m’a dit qu’il ne pouvoit se résoudre à manger du pain, quand ses enfants en manquoient ; et pourtant, le croirez-vous, monsieur ? malgré leur profonde misère, sa femme a d’aussi bon bouillon que si elle étoit accouchée dans l’aisance : j’en ai goûté et je l’ai trouvé excellent. Il pensoit, m’a-t-il dit, qu’il étoit redevable de ce bienfait à un ange du ciel. J’ignore ce qu’il entendoit par là ; car je n’ai pas eu le courage de lui faire une seule question.

« C’étoit de part et d’autre, comme on dit, un mariage d’amour, c’est-à-dire un mariage entre deux personnes pauvres. Je n’ai point connu, il est vrai, d’époux plus passionnés l’un pour l’autre ; mais à quoi leur sert leur tendresse réciproque, qu’à les rendre plus malheureux ?

— Vous m’étonnez, maman, dit Nancy. J’avois toujours cru ma cousine Anderson (c’étoit son nom) la plus heureuse des femmes.

— Sa position est bien changée aujourd’hui, reprit mistress Miller. On s’aperçoit aisément que ce qui afflige le plus le mari et la femme, c’est le spectacle de leurs mutuelles souffrances. La faim et le froid qui n’affectent que le corps, leur paroissent des maux légers, auprès des angoisses