Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 3.djvu/337

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qui ressembloit au délire, elle s’écria : « Bon Dieu ! est-il au monde un pareil cœur ? » Puis revenue à elle-même. « Oui, dit-elle, j’en connois un autre ; mais en existe-t-il un troisième ?

— J’espère, madame, répondit Jones, qu’un simple mouvement d’humanité, car on ne peut nommer autrement le désir de soulager ses semblables dans une telle calamité, n’est pas si rare parmi les hommes que vous semblez le croire. »

Mistress Miller prit dix guinées dans la bourse de Jones. Ce fut tout ce qu’il put lui faire accepter : « Je les enverrai, dit-elle, demain matin de bonne heure à mes pauvres parents. De mon côté, je leur ai donné un foible secours, et j’ai eu la consolation de les laisser un peu moins malheureux que je ne les avois trouvés. »

Ils rentrèrent ensuite dans le salon. M. Nightingale déplora en termes emphatiques la cruelle situation de ces infortunés, qu’il avoit vus plusieurs fois chez mistress Miller ; il se récria contre la folie de se rendre caution des dettes d’autrui ; il chargea de malédictions l’indigne frère, et finit par souhaiter qu’il fût possible de faire quelque chose pour une famille si intéressante. « Ne pourriez-vous pas, madame, dit-il à mistress Miller, les recommander à M. Allworthy ?… Ou bien que penseriez-vous d’une souscription ? Moi qui vous parle, je donnerois de bon cœur une guinée. »