Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 4.djvu/273

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— Mon bon ami, reprit M. Allworthy, je me suis étendu sur les louanges de votre fille, d’abord parce que son caractère me charme, ensuite pour qu’on ne s’imagine pas que sa fortune, tout avantageuse qu’elle seroit pour mon neveu, ait été le principal motif de mon empressement à écouter votre proposition. J’ai vivement désiré, je l’avoue, d’enrichir ma famille d’un pareil trésor ; mais si je puis souhaiter la possession d’un bien si précieux, je ne voudrois pas le dérober, ni m’en emparer par un acte de violence ou d’injustice. Or, contraindre une jeune personne à se marier contre son gré est un tel abus d’autorité, que les lois de notre pays auroient dû songer à le prévenir. Mais, dans l’État le plus mal constitué, une bonne conscience connoît toujours des lois, et sa voix supplée au silence du législateur. C’est assurément ici le cas ; car n’y a-t-il pas de la barbarie, je dirai même de l’impiété, à forcer une fille de s’engager malgré elle dans les liens du mariage, quand on songe qu’elle doit répondre de sa conduite devant le plus saint et le plus redoutable tribunal, et en répondre sur le salut de son ame ? Ce n’est pas une tâche aisée que de s’acquitter dignement des devoirs d’épouse. Peut-on imposer à une femme un si lourd fardeau, et la priver en même temps de tous les secours qui l’aideroient à le porter ? Peut-on lui briser le cœur,