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choisi par le peintre. Qu’on change le retable de local, qu’on l’entoure de tous les soins imaginables, mais qu’on ne le restaure point. On ne saurait lui donner une plus grande preuve d’affection.

Rêve-t-on vraiment d’ajouter quoi que ce soit à la magnificence de ses couleurs ? Attendons-nous de l’œuvre des joies plus fortes ? Le trône avec ses beaux accessoires sculptés, le tapis oriental où s’étale le manteau de Marie, les cheveux d’or de la Vierge, la chape brodée de saint Donatien, la lumière fluide et puissante que les vitraux tamisent dans le déambulatoire, s’harmonisent sur une trame d’or où toutes ces notes graves, extraordinairement riches, vibrent avec une intensité absolue. La couleur ruisselle à pleins bords, a dit Fromentin ; — mais jamais au hasard, ajouterons-nous, tant la facture est précise et volontaire. La pâte est parfois plus épaisse dans les ombres que dans les clairs ; le rouge du manteau de Marie est obtenu par glacis successifs, et il est presque certain que le maître en posant une couche ne reprenait jamais la précédente. Le travail du modelé recommençait sans cesse dans des pâtes de plus en plus légères, de plus en plus transparentes, de façon à ménager les dessous, à renforcer les valeurs, sans rien enlever de leur éclat. Touche par touche la surface du tableau se remplissait, ici de modelés moelleux, souples et sculpturaux pour rendre le corps des choses, là d’accents nets et vifs pour exprimer les reliefs. Ainsi s’obtenaient « ces colorations étincelantes qui semblent emprisonnées sous l’émail et rivalisent d’éclat avec les pierres précieuses. »[1] Faut-il s’étonner que traduite en un tel langage la Madone du Chanoine Van der Paele aît frappé vivement tous les successeurs de Jean Van Eyck ? Elle a fourni la formule décomposition d’un grand nombre de tableaux brugeois, remarque justement M. Hulin.[2] On peut être assuré que les maîtres du XVe siècle la considéraient comme un modèle accompli. Memling y trouva l’un de ces thèmes favoris et c’est le retable de saint Donatien qui engendra son Mariage mystique de sainte Catherine.

Nous avons d’autres preuves de l’impression que la Madone de Van der Paele produisit sur les contemporains. On conserve à Hampton Court une tête reproduisant la vierge de Van der Paele ; on a cru d’abord y voir une étude pour le tableau, mais il s’agit d’une copie.[3] Le musée d’Anvers de son côté possède une magnifique réplique du retable, exécutée dans le courant du XVe siècle et provenant de Watervliet entre Gand et Bruges.

  1. E. Michel. Etudes sur l’histoire de l’art Paris 1895. p. 183.
  2. Catalogue critique des Primitifs de Bruges, p. 3.
  3. Signalée par M. Kaemmerer. op. cit. p. 68.