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point de départ les Heures de Turin. Elles sont à ses yeux de la main de Hubert, et furent exécutées par l’aîné des deux frères pour Guillaume IV de Hollande. Ce serait ce prince et non Judocus Vydt qui aurait commandé le polyptyque. Hubert aurait travaillé à la Haye jusqu’en 1417, et c’est de son séjour en Hollande que dateraient les parties les plus anciennes du Retable. L’inscription relevée sur le cadre et dont nous avons donné plus haut le texte, ne dit point en effet que Judocus Vydt commanda le polyptyque ; elle dit seulement que c’est à sa prière que Jean acheva le travail. Mais sur quelles preuves s’appuie-t-on pour faire de Guillaume IV le Mécène de Hubert et pour voir en l’ainé des deux frères l’auteur des Heures de Turin ? En l’absence de documents impératifs, nous adopterons l’opinion traditionnelle. Le Retable fut commandé à Hubert Van Eyck vers 1420 par Judocus Vydt, seigneur de Pamele, l’un des plus riches patriciens de Gand. Hubert mort, Jean acheva le Retable qui fut exposé pour la première fois le 6 mai 1432.

L’église de Saint-Bavon, où fut placé le chef-d’œuvre, s’appelait alors l’église de Saint-Jean. Judocus Vydt y avait acheté une chapelle en 1420 pour y établir la sépulture de sa famille et de la famille de sa femme Isabelle Borluut. La chapelle fut décorée de vitraux, d’armoiries sculptées, et sur l’autel on posa le Retable. Fils d’un receveur des Flandres (son père nous est connu par de nombreuses mentions d’archives), seigneur de plusieurs endroits, notamment de Pamele en Brabant, qu’il ne faut pas confondre avec Pamele près d’Audenaerde, Judocus Vydt possédait plusieurs hôtels à Gand où il épousa Isabelle Borluut, d’illustre famille. Très généreux, très charitable, le Mécène gantois fonda des établissements hospitaliers et de son vivant fit don à l’église de Saint-Jean de plusieurs domaines, des polders notamment qu’il possédait dans le Nord, pour payer les soins que réclamait le polyptyque et les offices qui devaient être célébrés devant le chef-d’œuvre. Par contre son testament, un document d’importance, ne fait aucune mention de l’œuvre des frères Van Eyck. Chose remarquable aussi : ni Judocus, ni sa femme n’ont été ensevelis dans la chapelle achetée à cette intention ; ils furent inhumés dans l’un des hôpitaux qu’ils avaient fondés[1].

L’Adoration de l’Agneau fut rapidement célèbre. Van Mander en témoigne par ces lignes souvent citées : « On n’ouvrait le Retable que pour les grands seigneurs ou contre une bonne rémunération ; » — ce qui est

  1. Ces renseignements biographiques sur Judocus Vydt m’ont été fournis verbalement par M. Victor Van der Haeghen, archiviste de la ville de Gand.