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DE GUSTAVE FLAUBERT.

pas, j’en mourrais ; tu m’aimes, et je suis à t’écrire de t’arrêter. Ma propre bêtise me dégoûte moi-même. C’est que, de tous les côtés que je me retourne, je ne vois que malheur ! J’aurais voulu passer dans ta vie comme un frais ruisseau qui en eût rafraîchi les bords altérés, et non comme un torrent qui la ravage. Mon souvenir aurait fait tressaillir ta chair et sourire ton cœur. Ne me maudis jamais ! Va, je t’aurai bien aimée, avant que je ne t’aime plus. Moi, je te bénirai toujours ; ton image me restera toute imbibée de poésie et de tendresse, comme l’était hier la nuit dans la vapeur laiteuse de son brouillard argenté.

Ce mois-ci je t’irai voir, je te resterai un grand jour entier. Avant quinze jours, douze même, je serai à toi. Que Phidias m’écrive, et j’accours ; c’est convenu. Est-il-remis de sa colère, ce bon Phidias ? A-t-il compris le sens du cadeau ? Tâche de lui bien faire entendre que c’était pour le faire rire et rêver, et lui rendre un peu de la satisfaction qu’il nous avait causée.

Tu veux que je t’envoie quelque chose de moi. Non, tu trouverais tout trop bien. Ne m’as-tu pas assez donné, sans y joindre tes éloges littéraires ? Tu veux donc achever de me rendre fat ! Et puis je n’ai rien de lisible ; tu ne t’y reconnaîtrais pas, au milieu des ratures et des renvois, n’ayant rien fait recopier. N’as-tu pas peur de te gâter le style en me fréquentant ? Tu voudrais que je publiasse quelque chose tout de suite ; tu m’exciterais ; tu finirais par faire que je me prendrais au sérieux (ce dont le ciel me garde !). Autrefois la plume courait sur mon papier avec vitesse ; elle y court aussi maintenant, mais elle le déchire. Je ne peux