Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
280
CORRESPONDANCE

131. À LA MÊME.
En partie inédite.
Dimanche, 2 h. d’après-midi [Croisset, 30 août 1846].

De la colère, grand Dieu ! De l’aigreur, et de la verte, de la salée ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que tu aimes les disputes, les récriminations et tous ces amers tiraillements quotidiens qui finissent par faire de la vie un enfer réel ? Je n’y comprends rien. Tu te plains de mes duretés ; mais il me semble que je ne t’en ai jamais envoyé de pareilles. Peut-être t’en ai-je envoyé de plus fortes, diras-tu. Chacun s’illusionne.

Mais je vois dans ta lettre de ce matin quelque chose de plus et comme un parti pris d’être aigre ou de le paraître. Qui sait ? C’est peut-être une tentative, un essai ? Tu me reproches sans cesse que je pose, que je suis théâtral, que j’ai de l’orgueil, que je me pavane de mes tristesses comme un matamore de ses cicatrices. Selon toi, je te chagrine à plaisir, faisant semblant de pleurer pour voir couler tes larmes. Voilà une atroce idée.

Comment peux-tu m’aimer si tu me regardes comme un si pauvre personnage ? Tu dois me mépriser. Alors peut-être en effet me méprises-tu ? Tu en es déjà aux regrets sans doute ; tu vois que tu t’es trompée et c’est moi que tu accuses de cette illusion perdue.

Souviens-toi donc que ma première parole a