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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Je reprends et je dis qu’on m’a aimé ; mais jamais comme toi, et jamais non plus il n’y a eu entre moi et une femme l’union qui existe entre nous deux. Jamais je ne me suis senti envers aucune un dévouement aussi profond, une propension aussi irrésistible, une communion aussi complète. Pourquoi dis-tu sans cesse que j’aime le clinquant, le chatoyant, le pailleté ! Poète de la forme ! c’est là le grand mot à outrages que les utilitaires jettent aux vrais artistes. Pour moi, tant qu’on ne m’aura pas, d’une phrase donnée, séparé la forme du fond, je soutiendrai que ce sont là deux mots vides de sens. Il n’y a pas de belles pensées sans belles formes, et réciproquement. La Beauté transsude de la forme dans le monde de l’Art, comme dans notre monde à nous il en sort la tentation, l’amour. De même que tu ne peux extraire d’un corps physique les qualités qui le constituent, c’est-à-dire couleur, étendue, solidité, sans le réduire à une abstraction creuse, sans le détruire en un mot, de même tu n’ôteras pas la forme de l’Idée, car l’Idée n’existe qu’en vertu de sa forme. Suppose une idée qui n’ait pas de forme, c’est impossible ; de même qu’une forme qui n’exprime pas une idée. Voilà un tas de sottises sur lesquelles la critique vit. On reproche aux gens qui écrivent en bon style de négliger l’Idée, le but moral ; comme si le but du médecin n’était pas de guérir, le but du peintre de peindre, le but du rossignol de chanter, comme si le but de l’Art n’était pas le Beau avant tout !

On va, accusant de sensualisme les statuaires qui font des femmes véritables avec des seins qui peuvent porter du lait et des hanches qui peuvent concevoir. Mais s’ils faisaient au contraire des dra-