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CORRESPONDANCE

grande privation pour ceux qui auraient pu le connaître.

Parmi les marins, il y [en] a qui découvrent des mondes, qui ajoutent des terres à la terre et des étoiles aux étoiles. Ceux-là ce sont les maîtres, les grands, les éternellement beaux. D’autres lancent la terreur par les sabords de leurs navires, capturent, s’enrichissent et s’engraissent. Il y en a qui s’en vont chercher de l’or et de la soie sous d’autres cieux. D’autres seulement tâchent d’attraper dans leurs filets des saumons pour les gourmets et de la morue pour les pauvres. Moi, je suis l’obscur et patient pêcheur de perles qui plonge dans les bas-fonds et qui revient les mains vides et la face bleuie. Une attraction fatale m’attire dans les abîmes de la pensée, au fond de ces gouffres intérieurs qui ne tarissent jamais pour les forts. Je passerai ma vie à regarder l’Océan de l’Art où les autres naviguent ou combattent, et je m’amuserai parfois à aller chercher au fond de l’eau des coquilles vertes ou jaunes dont personne ne voudra ; aussi je les garderai pour moi seul et j’en tapisserai ma cabane.

On doit décidément te prendre chez Du Camp pour une dame qui lui veut beaucoup de bien. Mais patiente un peu ; les premiers jours de la semaine prochaine tu le verras. Dis-moi, s’il y a quelqu’un chez toi, sous quel prétexte faut-il qu’il se présente, pour que je le lui écrive ? et vers quelle heure à peu près ? Est-ce que, si l’Officiel est à Paris, tu ne pourrais pas dire que tu vas chez Phidias pour ton buste et venir avec moi ? Ce bon buste ! nous aura-t-il servi !…

Je me répète toujours et incessamment de ma-