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DE GUSTAVE FLAUBERT.

n’ayant guère eu de vent, si ce n’est cette nuit. On a été obligé presque tout le temps de haler sur la corde. Quand le vent manque, les hommes ôtent leur chemise, se jettent à l’eau et vont à la nage sur la rive tirer la corde. Ce matin, on en a flanqué un dans le fleuve d’un grand coup de pied dans le derrière, trouvant qu’il n’allait pas assez vite à une manœuvre. Quand on ne hale pas, on pousse du fond avec de grandes gaffes. De cette manière-là on fait, en travaillant bien, de 3 à 5 lieues par jour.

Il fait beau temps ; le soleil commence à casse-briller ; le Nil est plat comme un fleuve d’huile. À notre gauche, nous avons toute la chaîne arabique qui, le soir, est violet et azur. À droite, des plaines, puis le désert. Les rives du Nil ressemblent aux bords de la mer ; on a plutôt l’air d’être sur les grèves de l’Océan. Par moments, il y a des plages aussi étendues, à peu de chose près, que celle du Mont-Saint-Michel. Il fait un silence absolu ; nous n’entendons rien que l’eau couler. Quelquefois, au loin, une bande de chameaux qui passe. Sur le bord de l’eau, des oiseaux qui viennent boire ; de place en place un bouquet de palmiers, qui renferme un village dont les maisons sont construites de roseaux et de terre. Quand nous descendons et quand nous y allons, les enfants se sauvent à toutes jambes, de peur de nos fusils ; les femmes se voilent et détournent la tête.

Nous menons une bonne vie, pauvre vieille adorée. Ah ! comme je te regrette ! Comme tout cela te plairait ! Si tu savais quel calme tout autour de nous, et dans quelles profondeurs paisibles on