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CORRESPONDANCE

se sent errer l’esprit ! Nous paressons, nous flânons, nous rêvassons. Le matin je fais du grec, je lis de l’Homère ; le soir j’écris. Dans le jour, bien souvent nous mettons nos fusils sur notre dos et nous allons chasser.


250. À SA MÈRE.
Entre le mont Farchout et Resseh[1], 3 mars 1850.

Nous menons une vie de fainéantise et de rêvasserie ; toute la journée vautrés sur notre tapis, nous fumons des chibouks et des narguilehs, en absorbant de la limonade et en regardant les rives du fleuve. (Ce sont plutôt des rivages. Ça ressemble à la mer.) On croit faire une longue navigation et toujours longer les côtes d’un continent. Dans des moments, on se croit dans un lac immense dont on ne voit pas les limites. La chaîne arabique ne nous quitte pas sur la gauche. C’est tantôt une falaise coupée à pic, d’autres fois elle se mamelonne en monticules que de grandes lignes de sable parallèles rayent de gris, comme le dos d’une hyène.

À propos de bêtes féroces, aujourd’hui nous avons vu pour la première fois plusieurs crocodiles. Max en a tiré plusieurs et n’en a tué aucun. C’est fort difficile, à cause de l’extrême pusillanimité de cette grosse bête qui fuit au moindre bruit.

De temps à autre, on rencontre une cange qui descend vers le Caire. Les drogmans des deux bateaux s’appellent. On se met sur le pont, et on se

  1. Rissieh.