Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
DE GUSTAVE FLAUBERT.

mon retour. Quelle bosse de soufflet nous nous donnerons ! Il faudra lui faire ajouter un ressort.

Il paraît que le jeune Bouilhet se livre un peu à l’immoralité en mon absence. Vous le voyez trop souvent. C’est vous qui démoralisez ce jeune homme. Si j’étais sa mère, je lui interdirais votre société. Il n’y a rien de pire pour la jeunesse que la fréquentation des vieillards débauchés. Néanmoins, continuez, mes bons vieux, à boire le petit verre à ma santé quand vous vous trouvez ensemble. Pochardez-vous même en mon honneur. Je vous excuse d’avance. Quant à l’Hôtel-Dieu, ça ne va pas fort, dit-on, avec le nouveau ménage. Il n’y a là dedans rien qui m’étonne. Quel bonheur ce sera pour moi de voir de mes yeux ce jeune homme établi et père de famille ! La maison ne périra donc pas ; il y aura un rejeton qui fleurira dans le comptoir. Les laines s’en réjouiront et les registres auront un maître. Avez-vous réfléchi quelquefois, cher vieux compagnon, à toute la sérénité des imbéciles ? La bêtise est quelque chose d’inébranlable ; rien ne l’attaque sans se briser contre elle. Elle est de la nature du granit, dure et résistante. À Alexandrie, un certain Thompson, de Sunderland, a sur la colonne de Pompée écrit son nom en lettres de six pieds de haut. Cela se lit à un quart de lieue de distance. Il n’y a pas moyen de voir la colonne sans voir le nom de Thompson, et par conséquent sans penser à Thompson. Ce crétin s’est incorporé au monument et se perpétue avec lui. Que dis-je ? Il l’écrase par la splendeur de ses lettres gigantesques. N’est-ce pas très fort de forcer les voyageurs futurs à penser à soi et à se souvenir de