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DE GUSTAVE FLAUBERT.

J’ai été joyeux tout de bon, hier, en apercevant l’Acropole qui brillait en blanc au soleil, sous un ciel chargé de nuages. Nous passions devant Colone, nous avions Égine à gauche, Salamine en face. Maxime, gêné du mal de mer, râlait dans sa cabine. Le temps était rude. À l’avant, avec mon lorgnon sur le nez, à côté de la cage aux poulets, debout et regardant devant moi, je me laissais aller à de « grandes pensées ». Sans blague aucune, j’ai été ému plus qu’à Jérusalem, je ne crains pas de le dire, ou du moins d’une façon plus vraie, où le parti pris avait moins de part. Ici c’était plus près de moi, plus de ma famille. C’est peut-être aussi que je m’y attendais moins. Voila l’éternel monologue hébété et admiratif que je me disais en considérant ce petit coin de terre, au milieu des hautes montagnes qui le dominent : « C’est égal, il est sorti de là de crânes bougres, et de crânes choses. »

Nous allons la semaine prochaine commencer nos courses aux Thermopyles, Sparte, Argos, Mycènes, Corinthe, etc. Ce ne sera guère qu’un voyage de touriste (oh !!) : il ne nous reste ni temps ni argent. Il a fallu pour le même motif, passer par-dessus la Troade. Constantinople nous a dévorés. J’aurais bien voulu voir aussi la Thessalie. Mais il faut quitter Golconde ; c’est fini. J’ai été triste à crever en disant adieu à Constantinople. Encore une porte fermée derrière moi. Encore une bouteille d’avalée. J’éprouve depuis six semaines des appétits féroces de voyage, justement parce que mon voyage finit. Je me désespère d’avoir manqué la Perse. N’y pensons plus. L’homme n’est jamais satisfait de rien ; maxime