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CORRESPONDANCE

avec tous ses chapelets, tous ses faux camées, tous ses Saint-Pierre en mosaïque ! Il y a pour les touristes des magasins pleins de pierres du Forum arrangées en presse-papier pour mettre sur les bureaux. On a fait des porte-plume avec les marbres des temples. Tout cela agace bougrement les nerfs. Telle est la première impression que m’a produite Rome.

Quant à la Rome du XVIe siècle, elle est flambante. La quantité des chefs-d’œuvre est une chose aussi surprenante que leur qualité. Quels tableaux ! quels tableaux ! J’ai pris des notes sur quelques-uns. Oui, on y vivrait bien, à Rome, mais dans quelque rue du peuple. À force de solitude et de contemplation, on monterait haut comme mélancolie historique.

J’ai été hier soir à Tibur. J’ai passé devant la place de la villa d’Horace ; il y avait quatorze messieurs et dames, montés sur des ânes.

La campagne est magnifique, déserte et désolée, avec de grands aqueducs. Là on est bien.

J’en suis fâché, mais Saint-Pierre m’ennuie. Cela me semble un art dénué de but. C’est glacial d’ennui et de pompe. Quelque gigantesque que soit ce monument, il semble petit. Le vrai antique que j’ai vu fait du tort au faux. On a bâti ça pour le catholicisme, quand il commençait à crever, et rien n’est moins amusant qu’un tombeau neuf. J’aime mieux le grec, j’aime mieux le gothique, j’aime mieux la petite mosquée, avec son minaret lancé dans l’air comme un grand cri.

Quand on se promène dans le Vatican, on se sent en revanche pénétré de respect pour les papes. Quels messieurs ! Comme ils se sont arrangé leur