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CORRESPONDANCE

le chemin de la mort, et je veux vivre encore pendant trois ou quatre livres ; ainsi je suis cristallisé, immobile. Tu m’appelles granit. Mes sentiments sont de granit. Et si j’ai le cœur dur, il est solide au moins, et n’enfonce sous rien. Les abandons et les injustices n’altèrent pas ce qui est gravé dessus. Tout y reste et ta pensée, quoi que tu fasses et que je fasse, ne s’en effacera pas.

Adieu, un long baiser sur ton front que j’aime !

À toi. Ton G.

454. À LOUISE COLET.

Entièrement inédite.

Dimanche soir.

Je suis très peiné. Je te fais des excuses, et des plus sincères, puisque tu as trouvé ce que je te disais de la Servante acerbe et injurieux. Mon intention a été tout autre. Il est vrai (comme tu me l’écris) que j’étais, dans ce travail, irrité. Il m’avait considérablement agacé les nerfs et tu peux te convaincre toi-même que j’ai travaillé au microscope. Ce qui m’y a révolté c’est de voir gaspiller tant de dons du ciel par un tel parti pris de morale.

Crois bien que je ne suis nullement insensible aux malheurs des classes pauvres, etc., mais il n’y a pas, en littérature, de bonnes intentions. Le style est tout et je me plains de ce que, dans la Servante, tu n’as pas exprimé tes idées par des faits ou des tableaux. Il faut avant tout, dans une narration, être dramatique, toujours peindre ou émouvoir, et jamais déclamer. Or le poète, dans