Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
CORRESPONDANCE

penses, dit-on, bien que j’aie une conduite fort régulière. Beaucoup de gens me trouvent riche, mais je me trouve gêné continuellement, ayant par devers moi les désirs les plus extravagants que je ne satisfais pas, bien entendu. Je rêve, quand le travail va mal, des palais de Venise et des kiosques sur le Bosphore, et cætera. — Et puis je ne sais nullement compter, je n’entends goutte aux affaires d’intérêt. J’ai horreur des dettes et je ne me fais pas payer des sommes qu’on me doit. Quand je suis en train d’écrire, tout cela n’existe plus pour moi. Je n’ai aucune envie. Mais quand je tombe dans mes découragements, l’homme se réveille avec tous ses appétits et tous ses vices. On a tant besoin de se détendre l’âme !

Puisque vous vous intéressez à ce que je fais, je vous apprendrai que je vais cette semaine me mettre à écrire quelque chose de nouveau. C’est l’ouvrage annoncé par la Presse et que je lui ai promis. Voilà déjà cinq mois que j’en prépare les matériaux. Quand sera-t-il fini ? Je l’ignore. C’est une œuvre fort difficile et qui me remplit d’angoisses. Je suis vexé qu’on en parle. Tout cela m’ennuie ; mais vous connaissez les journaux, ils ne savent comment remplir leur pauvre papier.

On a aussi annoncé de moi un drame reçu à l’Odéon. Ce bruit n’a aucun fondement. Je me suis autrefois fort occupé de théâtre. J’y reviendrai dans quelques semaines. Je veux mettre fin à deux ou trois idées qui me tourmentent. Il y a de grandes choses à faire de ce côté ; mais c’est une affreuse galère que le théâtre ! Il faut pour cela des qualités toutes spéciales que je n’ai pas peut-être.