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CORRESPONDANCE

vie, au coin de mon feu, à me meubler des palais, et à rêver des livrées, pour quand j’aurai un million de rentes ! Je me suis vu aux pieds des cothurnes, sur lesquels il y avait des étoiles de diamant ! J’ai entendu hennir, sous des perrons imaginaires, des attelages qui feraient crever l’Angleterre de jalousie. Quels festins ! Quel service de table ! Comme c’était servi et bon ! Les fruits des pays de toute la terre débordaient dans des corbeilles faites de leurs feuilles ! On servait les huîtres avec le varech et il y avait, tout autour de la salle à manger, un espalier de jasmins en fleurs où s’ébattaient des bengalis.

Oh ! les tours d’ivoire ! Montons-y donc par le rêve, puisque les clous de nos bottes nous retiennent ici-bas !

Je n’ai jamais vu dans ma vie rien de luxueux, si ce n’est en Orient. On trouve là des gens couverts de poux et de haillons, et qui ont au bras des bracelets d’or. Voilà des gens pour qui le Beau est plus utile que le Bon. Ils se couvrent avec de la couleur et non avec de l’étoffe. Ils ont plus besoin de fumer que de manger. Belle prédominance de l’idée, quoi qu’on en dise.

Allons, adieu, il est bien tard, je t’embrasse ; à toi.


457. À LOUISE COLET.
[Croisset] Dimanche soir [19 février 1854].

Je m’attendais à avoir ce matin une lettre de toi qui me conterait l’importante visite du Philosophe, et j’ai été fort désappointé. Mais je réfléchis main-