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CORRESPONDANCE

tes rentes. » les confrères me jettent à la tête, continuellement, les trois sols de revenu qui m’empêchent de crever précisément de faim. Cela est plus facile que de m’imiter. J’entends de vivre comme je fais : 1o à la campagne les trois quarts de l’année ; 2o sans femme (petit point assez délicat, mais considérable), sans ami, sans cheval, sans chien, bref sans aucun des attributs de la vie humaine ; 3o et puis, je regarde comme néant tout ce qui est en dehors de l’œuvre en elle-même. Le succès, le temps, l’argent, et l’imprimerie sont relégués au fond de ma pensée dans des horizons très vagues et parfaitement indifférents. Tout cela me semble bête comme chou et indigne (je répète le mot, indigne) de vous émouvoir la cervelle.

L’impatience qu’ont les gens de lettres à se voir imprimés, joués, connus, vantés, m’émerveille comme une folie. Cela me semble avoir autant de rapports avec leur besogne qu’avec le jeu de dominos ou la politique. Voilà.

Tout le monde peut faire comme moi. Travailler tout aussi lentement et mieux. Il faut seulement se débarrasser de certains goûts et se priver de quelques douceurs. Je ne suis nullement vertueux, mais conséquent. Et, bien que j’aie de grands besoins (dont je ne dis mot), je me ferais plutôt pion dans un collège que d’écrire quatre lignes pour de l’argent. J’aurais pu être riche, j’ai tout envoyé faire f…, et je reste comme un Bédouin dans mon désert et dans ma noblesse. M…, m… et archi m…, telle est ma devise et je t’embrasse bien tendrement.